Etat de droit
L'étude de novembre 2008 / mars 2009
Les « arguments » les plus utilisés pour défendre l'idéologie anti-sanction à l'école
Difficile, là encore, de trouver un argument aussi peu convaincant.
Ici, la mauvaise foi semble l'emporter sur le reste, ou au moins l'idéologie sur la raison... En effet,
en quoi un
enfant perturbateur, qui ne fait presque rien en classe, qui n'est encore qu'à l'école maternelle ou élémentaire,
pourrait-il voir sa scolarité mise en danger parce qu'il serait renvoyé un ou deux jours de l'école ?
En réalité, c'est un vrai cercle vertueux qui pourrait enfin se mettre en place : les autres élèves verraient que les
sanctions existent, qu'elles peuvent tomber à tout moment, et commenceraient donc enfin à être un peu dissuadés d'agir en
dehors des règles ; les parents le constateraient aussi et, subissant le contrecoup de la sanction (étant obligés de garder
leur enfant voire de payer une amende),
seraient à leur tour incités à être plus sévères à l'égard de leurs enfants lorsque leur comportement ne serait pas compatible avec
un bon fonctionnement de l'école.
Renvoyer un enfant de l'école — même temporairement — risquerait d'avoir pour conséquence que cet
enfant aille traîner dans la rue pendant le temps scolaire et soit entraîné vers la délinquance. En outre, dans le cas des
familles monoparentales, ce renvoi fragiliserait encore plus une maman esseulée (cas fréquent des familles monoparentales)
qui verrait sa vie rendue encore plus difficile. Renvoyer un élève de l'école pour quelques jours serait donc pire que de
le garder à l'école même s'il s'y comporte très mal...
Le problème de ce type d'argument — qui sous-entend que l'enfant ne pourrait pas être gardé un ou deux jours
par son ou ses parents — c'est qu'il ne tient aucun compte du code civil ou du rôle des services sociaux.
De deux choses l'une : soit l'on est capable d'élever son enfant, et alors on doit pouvoir le garder un
jour chez soi ; soit l'on n'en est pas capable, et c'est alors aux services sociaux de le prendre en charge s'il
ne va pas à l'école.
Du reste, si l'on devait accepter ce type d'argument, cela nous conduirait à dire : puisqu'en dehors de l'école il va
traîner dans la rue, mettons cet enfant à l'école le soir, les week-ends et pendant les vacances ! Car en effet, dans
une année il y en a beaucoup, des jours et des heures sans école ! Et comment font-ils alors, nos chers parents, dans
ce cas-là ? Notons en passant que cela remettrait aussi en cause le droit de grève ! Pourtant si
chèrement défendu par ceux-là même qui se montreront outrés à l'idée que l'on puisse renvoyer un élève un jour d'une
école primaire... Or, si donc un enfant devait rester à l'école 24h sur 24, cela ne s'appellerait plus vraiment l'école
mais l'internat, solution théoriquement envisageable même si Etat de droit
ne l'a
pas à ce jour prioritairement retenue. C'est-à-dire que cet argument anti-renvoi temporaire conduit paradoxalement
à admettre l'utilité d'un renvoi définitif de l'école primaire dans sa version classique ! Mais nous ne sommes pas à
une contradiction près...
Réaffirmons que
l'école ne
peut pas tout résoudre. Certains y verront peut-être un brin de défaitisme alors que c'est l'inverse ! C'est
en rendant les choses possibles que l'on est constructif ; pas en s'arc-boutant à des solutions tellement utopiques
qu'elles en empêchent toute réalisation. En l'occurrence : vouloir « sauver » tous les élèves via une
éducation sans sanction, c'est, quand un bon nombre d'entre eux ont un comportement déviant, les condamner tous...
On ne reproche pas à un plombier de ne pas peindre. Alors cessons de demander à l'école de faire le travail des
services sociaux, de la police-justice, ou de la psychiatrie ! D'autant qu'on ne lui donne officiellement,
à cette pauvre école, que la permission de tout excuser.
Ainsi, à tout vouloir — et le beurre et l'argent du beurre — on finit par tout perdre. Winston Churchill avait
dit : Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix, ils auront le déshonneur et la guerre. Tous ceux qui
continuent aujourd'hui à dire : il est possible d'éduquer sans jamais sanctionner, pour avoir ce monde
imaginaire qu'ils ont dans la tête, non seulement ne le verront jamais en vrai, mais auront en plus pénalisé tous
les élèves qui auraient bien voulu travailler et en auront été empêchés pendant des années, ainsi que tous les
fauteurs de trouble qui n'auront jamais pris au sérieux leurs paroles angéliques, se laissant happer par la
vertigineuse
absence de limite à l'école.
Ce terrible manque de lucidité, à vrai dire, c'est une vision de l'homme totalement détaché du monde du vivant : quand les
lions partent à la chasse, est-ce qu'ils choisissent d'attaquer le gnou le plus fort ? Non, ils choisissent toujours le
gnou le moins fort. C'est dans la nature vivante. C'est aussi, si ce n'est dans la nature humaine évoluée, au moins dans
la nature humaine en formation : en l'absence de sanction, l'enfant est naturellement porté à s'en prendre
à un enfant plus faible que lui, ne serait-ce que par jeu. On le déplorera autant qu'on voudra, mais force est de
constater que dans toutes les espèces vivantes — et jusqu'à preuve du contraire, l'Homme en est une... —
toute organisation sociale a besoin, pour sa sérénité, d'un système de sanctions suffisantes et clairement identifiées.
Refuser la sanction, c'est la faire subir de façon bien plus brutale et injuste que si elle était préalablement admise.
Réfléchissons encore à notre propre fonctionnement corporel : notre sang n'est-il pas contraint de
circuler dans nos vaisseaux sanguins ? Si notre corps se laissait aller à l'instar du laisser-faire institutionnel «
dévolu » à nos écoles primaires et nos établissements scolaires, nous ne tiendrions pas longtemps... Et si certains
ne s'en rendent toujours pas compte, c'est parce que l'échelle du temps est plus longue pour un système scolaire que pour
un corps humain ; mais le
rétablissement n'en sera que plus long.
2006-2009 © Etat de droit / Jean-Yves Willmann