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Violences scolaires

Ce deuxième témoignage n'était pas prévu. Il vient décrire le quotidien de quelques violences scolaires en France, ces situations dans lesquelles on a fait plonger professeurs et élèves. Les évènements ici relatés se sont produits en quelques semaines (rentrée 2002) dans une école élémentaire, classe de CM1/CM2.

Ecole : plaidoyer pour les professeurs,
pour les femmes, pour les enfants

Par Jean-Yves Willmann, ancien professeur des écoles, parent d'élève

[Le nom de l'école, le prénom des élèves sont masqués. Je certifie que les faits n'ont pas été grossis. Je fis d'ailleurs allusion à certaines de ces anecdotes à mon inspecteur d'académie en 2002.]

Sommaire :

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« Malgré mes quelques années passées à l'Education nationale en tant que professeur des écoles, des anecdotes « croustillantes » je pourrais en raconter 30, 40, 50... Je vais ici me contenter de courts moments vécus dans une seule école. Le XXIe siècle vient de se lever sur l'horizon.

« Je vous présente Consuelo (prénom d'emprunt). Un jour parmi d'autres, peu avant 11h30, elle s'improvisa « videur de discothèque », se plantant au beau milieu d'une des deux portes-fenêtres qui séparent le hall d'entrée de l'école de la cour de récréation, « filtrant » les élèves : laissant passer ceux qu'elle acceptait de laisser passer (dans la cour) et bloquant le passage à ses bêtes noires habituelles ou à ceux avec qui elle avait eu maille à partir récemment.

« Consuelo a 11 ans, elle est grande, imposante, doit bien faire ses 55 ou 60 kg (pardon pour le détail mais il est ici nécessaire) ; elle est la plus costaude de toute l'école, filles et garçons confondus ; sa force physique doit être comparable à celle d'une femme adulte de taille moyenne.

« Malgré l'embouteillage qu'elle crée inévitablement dans les escaliers, elle ne fléchit pas devant les dizaines d'enfants qui se précipitent pour aller en cour de récréation. Plusieurs de mes collègues adultes s'en aperçoivent, mais c'est mon élève... C'est à moi d'intervenir. Ayant déjà eu l'occasion de constater que Consuelo n'hésitait pas à s'opposer frontalement à certaines de mes demandes, je lui demande gentiment de bien vouloir laisser passer tous ceux qui veulent aller en cour de récréation. Elle trouve bien sûr une excuse quelconque, jurant qu'elle va bientôt partir, mais qu'elle attend quelque chose... C'est-à-dire quelqu'un et même plutôt quelques-uns. J'attends un peu, à deux mètres d'elle, espérant éviter la confrontation. Mais les secondes passent, Consuelo ne bouge pas, ignore certains enfants (qui se faufilent sous elle), en engueule d'autres, tape plus ou moins fort sur ceux qui ont le malheur de la bousculer mais qu'elle laisse quand même passer pour la plupart après ce petit « droit d'entrée ».

« Après 30 secondes, je réitère ma demande, j'élève un peu la voix. Rien à faire. Consuelo m'ignore superbement, toute à son activité du moment. Je me rapproche, je lui dis que maintenant ça suffit, et finis au bout d'une minute peut-être par la prendre par un bras : pas trop fortement mais en serrant un minimum. Puisqu'il va bien falloir l'extraire de là ! Je commence alors à tirer pour lui faire quitter cet espèce d'entonnoir qu'elle arrive presque à boucher de sa seule personne. J'ai un peu l'impression d'être un remorqueur enlisé dans la vase... Elle commence à céder mais s'agrippe avec l'autre main à la poignée d'une des deux portes restée fermée. Il me faut donc encore lui faire lâcher prise de ce côté-ci. Au bout d'un moment, elle s'aperçoit qu'elle perd du terrain et change de stratégie.

« Soudainement, elle arrête de résister, me renverse presque et se jette à terre. Elle se met à crier, à gémir : le maître m'a fait mal ! le maître m'a fait mal ! Elle reste à terre et s'efforce de pleurer ; elle s'y essaye tellement bien que de vraies larmes, me semble-t-il, apparaissent bientôt sur son visage. N'importe qui, arrivant à ce moment-là, l'identifierait à coup sûr comme la malheureuse victime de l'histoire. A travers ses cris, je la vois chercher quelque chose derrière moi. Tout à coup, son œil s'allume, elle se relève brusquement et se rue comme une furie dans le hall. Il est maintenant 11h33 ou 11h34 : les familles — qui normalement devraient attendre à la sortie de l'école... — commencent à arriver dans le hall. Consuelo a aperçu sa maman et se jette dans ses bras en hurlant.

« La suite, on la devine : la mère, bouleversée, est certaine que le professeur a méchamment frappé sa fille, sa fille qui est toujours adorable à la maison ; ma directrice me donne tort ; mes collègues, un peu plus sympas, me conseilleront d'être plus prudent avec Consuelo. Je retiendrai surtout une chose : ne plus jamais toucher le bras de Consuelo, ne jamais la contraindre physiquement quoi qu'elle fasse.

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« Précisons-le, selon toute vraisemblance Consuelo avait depuis longtemps pris le pouvoir sur sa mère et semblait être déjà devenue la véritable maîtresse de maison, jouant par ailleurs le rôle d'interprète auprès de sa mère (qui ne comprenait pas très bien le français), si bien que cette dernière idolâtrait sa fille autant qu'elle dépendait d'elle au quotidien : pour les démarches administratives ou pour traduire ce que dit le professeur. Inutile donc de compter sur ce fameux petit moyen de pression qui consiste à expliquer à une maman que sa fille s'est mal comportée à l'école : même convaincue, la mère n'aurait jamais pris le risque de se fâcher avec sa fille, la fille étant presque devenue la mère de sa mère...

« Epilogue : tout accaparés par le tragique récit accusateur de Consuelo, nous fûmes peu à remarquer ces trois ou quatre petits CE1/CE2, touchés par la foudre, toujours à terre, qu'elle venait de renverser en se précipitant dans le hall, et que personne n'aida à se relever.

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« Consuelo venait de gagner une grande victoire. J'avais perdu. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle fût aussi grande comédienne. Voir cette grande et forte fille — qui ne se privait donc jamais de balancer mandale sur mandale à tout élève de l'école qui l'aurait regardée de travers — hurler de douleur et mettre toute une école en effervescence parce qu'on l'a légèrement tirée par le bras, voilà qui fait froid dans le dos. Sa prestation avait été terriblement crédible. Et ma réputation déjà faite. Plusieurs heures après l'incident, quelques élèves d'autres classes de l'école étaient encore venus me demander : maître, c'est vrai que tu as frappé Consuelo ? Ils eurent la gentillesse de mettre la phrase à la forme interrogative (petite précaution dont leurs parents ne s'embarrassent pas toujours).

« Par la suite, en classe, en me regardant bien les yeux dans les yeux, il arrivait à Consuelo de s'amuser à introduire langoureusement sa grande règle plate dans ses vêtements, au niveau du buste, avec un large sourire ironique qui disait : ne m'embête pas trop sinon je t'envoie en taule. J'enregistrai la leçon — il est des écoles où les élèves refusent tellement de se mettre au travail que ce sont les professeurs qui reçoivent les leçons à leur place — et désormais, si jamais Consuelo tenait absolument à rester en classe pendant les récréations que je ne surveillais pas, j'exigeais qu'il y eût au moins 4 ou 5 élèves (non menteurs de préférence) qui restassent en plus dans la classe. Lorsque ces conditions n'étaient pas réunies, ma foi, j'étais bien obligé de mettre Consuelo dehors : au pire, je la prenais à nouveau par le bras devant tout le monde, risque élevé on l'a vu, mais moins important que celui de rester 30 secondes avec elle sans témoin.

« Probablement pour me rasséréner, ma directrice de l'époque eut ce petit mot charmant : T'en fais donc pas ! D'ici 2-3 ans elle se fera engrosser. Je ne me fais aucun souci pour elle !

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« En attendant l'heureux évènement, il y en avait de moins heureux, notamment dans cet endroit que les professeurs fréquentent peu : les toilettes pour enfants. C'est là qu'entre en scène une deuxième élève de cette classe. Appelons-là Myriam. Grande copine de Consuelo (elles se parlaient à coups de grandes insultes racistes et joviales, signe d'une indéfectible amitié), presque aussi forte qu'elle, 10 ans seulement mais de même taille, plus fine mais plus violente. Disons en gros que Consuelo était surtout brutale tandis que Myriam était surtout violente. La différence ? Consuelo était brusque dans beaucoup de ses gestes, elle aimait « le contact » (au sens rugbystique du terme), les rapports de force, et se serait battue avec des garçons de 13 ans. En face d'elle, on comprend vite qu'un enfant de 8 ans est un microbe. Myriam n'avait pas cette apparence hommasse, elle recherchait moins les adversaires à sa mesure, préférant s'en prendre aux plus faibles qu'elle. Sa violence, elle l'exerçait plutôt en cachette. En outre, Consuelo et Myriam partageaient ce grand point commun d'être parfois aussi redoutablement affabulatrices l'une que l'autre. Parfois seulement : quand la vérité les arrangeait ou les amusait, elles disaient la vérité ; quand le mensonge les arrangeait, elles mentaient.

« Ainsi, à quelques reprises, Myriam s'était amusée à clamer devant moi : Je suis pédophile ! Je suis une pédophile ! Ici, venant de sa part, je n'avais pas pris la phrase au second degré, mais au premier degré. Par la suite, j'avais en effet appris qu'elle était très fortement soupçonnée d'avoir imposé des attouchements sexuels à plusieurs petites filles de CE2, dans ces toilettes que les adultes fuient... pour ne pas risquer eux-mêmes d'être accusés de pédophilie ! Risque qui n'en était pas un pour Myriam, qui poussait donc la chansonnette jusqu'à le clamer ouvertement.

« Aparté : ce type d'accusation est devenue la hantise de beaucoup d'instituteurs hommes. Dès l'IUFM on nous coache là-dessus : ne restez jamais seul avec un élève en classe ! (Reconnaissons aux IUFM au moins ce bon conseil. Et l'on a vu que je m'en suis souvenu avec Consuelo.)

« Mais c'est surtout à l'égard de Myriam qu'il eût fallu adopter des mesures draconiennes... Plusieurs petites filles de CE2 s'étaient plaintes en disant (en substance) que Myriam les empêchait d'abord de fermer la porte des toilettes, s'enfermait avec elles, etc., en les violentant... Inutile de me demander les détails, je ne les connais pas ; ce n'est pas moi qui ai interrogé les petites victimes. Simplement, connaissant Myriam, elle devait aussi sacrément les menacer pour que rien ne s'ébruite. Or, il y eut quand même plusieurs petites filles de 7, 8 ou 9 ans qui se plaignirent spontanément sans qu'aucun adulte ne leur eût demandé quoi que ce soit. Quant au vrai nombre des victimes, on ne le connaîtra jamais. Les policiers appellent ça le « chiffre noir » de la délinquance. En l'occurrence : le chiffre noir de la violence à l'école que recouvre le vaste et lugubre manteau de l'anonymat. Tout cela, faut-il le préciser, n'apparaît jamais dans aucune statistique de la violence ou de la délinquance à l'école. Le Chiffre Noir est un puit dont personne ne connaît le fond. Certaines mamans, un jour, ont juste dû se faire ce questionnement intérieur : c'est bizarre, depuis hier elle ne mange rien... Ça va pas ma chérie ? (Si si maman, je suis un peu fatiguée ; quand est-ce qu'on sera en vacances déjà ?)

« Problème : aucun adulte ne fut jamais témoin direct. S'il reste un doute, même le plus petit doute, Myriam est innocente. (Encore que ce mot soit inapproprié en l'espèce puisque légalement, à son âge, elle ne pouvait être considérée comme coupable de quoi que ce soit.) Elle s'en tira donc très bien : avec la petite remontrance habituelle. Du reste, je viens de le suggérer, quand bien même on l'aurait prise sur le fait, que voulez-vous qu'il lui arrivât ? Sans même parler de sanctions pénales (impossibles dans son cas), j'ai suffisamment expliqué sur Etat de droit qu'aucune sanction scolaire n'est possible à l'école primaire, ni presque aucun moyen de pression à l'encontre des parents pour qu'ils sévissent un peu de leur côté. Au pire, Myriam aurait été déplacée dans l'école d'à côté, entourée de psychologues pour la soutenir... Quant aux petites CE2, elles appartiennent pour toujours au Chiffre Noir.

« J'imagine que certains parmi vous, qui me lisez, ne me croient pas. Quoi ? Des enfants pédophiles ! A 10 ans... C'est absurde ! Un non-sens ! Tout simplement impossible... A ceux-là je ne peux que leur ajouter cette petite scène dont je fus, pour le coup, témoin direct :

« Lorsque Myriam fut en face des quelques adultes de l'école, en réunion, directrice en tête, elle commença un peu par nier mais finit rapidement par promettre de ne plus recommencer... Pour dire les choses, elle garda profil bas. Elle, si véhémente d'habitude, ne broncha guère. Son petit démenti du début n'en fut pas un. On ne lui infligea pas la terrible humiliation qui consiste à nous faire des aveux circonstanciés, mais elle allait faire des efforts, oui, d'accord.

« On comprendra pourquoi, depuis de nombreuses années, je dénonce le fait que dans la Convention internationale des droits de l'enfant il soit clairement posé qu'un enfant victime ne pourrait l'être que d'un adulte (article 19). Non ! Plus le temps passe sans que nous ne changions cette naïve croyance, plus les enfants deviennent victimes d'autres enfants. La réalité est la réalité. Les faits que je relate, aujourd'hui en 2008, sont déjà anciens. La situation globale, en l'absence de changement de cap, a sans doute empiré. Combien donc de petites victimes accepterons-nous de voir encore plongées dans le Chiffre Noir de la violence scolaire avant d'admettre que depuis vingt ans nous faisons fausse route ?

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« Parenthèse. A la relecture, je m'aperçois que je tends à ne montrer de ma directrice de l'époque que certains aspects discutables. Je veux donc rééquilibrer cette présentation par quelques informations contextuelles. En quoi une directrice d'école peut-elle être tentée par (ce que d'aucuns jugeront) un certain manque de fermeté à l'égard de certaines familles et élèves ? Parce que la directrice d'une telle et grande école (une douzaine de classes en l'occurrence) a en face d'elle des centaines de parents d'élèves, et sur ces centaines, des dizaines qui peuvent poser de très sérieux problèmes relationnels. Certains diront : ce n'est pas une raison pour laisser faire ! Certes. Mais avec un peu de recul, une fois bien soupesée la totalité du contexte, il faut aussi savoir assouplir les jugements.

« Cette directrice « tenait » dans cette école plus qu'elle ne tenait l'école, c'est un peu vrai, mais ne serait-ce qu'y tenir le coup comme elle, pendant de nombreuses années, c'est là une « insuffisance » que beaucoup d'entre nous n'arriveraient pas à assumer... Il n'y a qu'à voir le turn-over dans ce type d'école ! Du reste, elle était en fin de carrière, avec l'usure qui va avec, quoiqu'elle se dépensât sans compter. Elle commit sans doute des erreurs, laissant probablement les parents prendre trop de place dans l'école — encore qu'elle ne fit là que suivre la tonalité générale de nos instructions officielles — mais elle était certainement courageuse et dévouée. Rendons-lui cet hommage, fût-il anonyme.

« Simplement, dans sa situation, ne pas se fâcher avec les familles les plus « à problèmes » semblait être devenu, sinon une question de survie, au moins un réflexe de défense. Au point de ne peut-être pas toujours maintenir assez de distance ou de fermeté à leur égard. Mais que tous ceux qui ont pour habitude de jeter la pierre facilement se posent d'abord la question : comment me débrouillerais-je, à près de 60 ans, dans un tel contexte, sur plusieurs années ?... Contexte dont je ne dévoile d'ailleurs qu'une infime partie (précision à l'attention des adeptes de jugements expéditifs).

« A cet égard, je répète depuis maintenant des années qu'à force de réduire le pouvoir institutionnel des professeurs et des directeurs d'école, on les incite fortement à adopter des réflexes de court terme (rendant plus difficile toute amélioration globale du système) comme par exemple :
la tentation du clientélisme et de la démagogie ou, en version plus « soft », la soumission acceptée à l'égard des parents ou plutôt de certains parents ;
la tentation du pouvoir personnel — pour cause d'autorité institutionnelle inexistante — avec tous les risques que cela comporte, et qui n'est rien d'autre que le pendant de ce qui précède puisque les deux types de tentations peuvent tout à fait coexister.

« Par conséquent, rappelons que si les personnels de l'Education nationale sont parfois débordés, ils font généralement TOUT CE QU'ILS PEUVENT dans ces contextes difficiles. Je rappelle que mon analyse globale de la situation dans ces cas-là consiste d'abord à dire que professeurs et directeurs des écoles n'ont plus suffisamment de pouvoir institutionnel, que cela n'est pas de leur fait, et que dans le cas de ces directeurs de grande école difficile il m'apparaît indispensable de les décharger davantage de cours (proposition E4). Soupesons bien ceci : la directrice dont je viens d'évoquer succinctement la situation n'était déchargée qu'à 50% ! Comment pouvait-elle s'en sortir ? Il faut cesser d'exiger l'impossible des directeurs d'école ou professeurs adjoints.

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« Pour compléter avec Myriam, autre anecdote : un jour, dès 8h35, elle m'empêche de commencer la classe en m'accusant immédiatement de quelque chose. Je n'ai pas encore prononcé la moindre parole qu'elle vient déjà m'agresser... Elle m'accuse d'avoir mal écrit un mot au tableau, la veille au soir, en me montrant le mot mal écrit sur son cahier de texte. J'ai l'impression d'avoir une hallucination. Qu'elle soit agressive, je le sais bien ; mais pourquoi si tôt le matin ?? J'essaie de la calmer en demandant à quelques autres élèves d'ouvrir leur cahier de texte. Nous regardons tous ensemble : tout le monde a bien écrit le mot sauf elle. Je tente donc de lui expliquer qu'elle a simplement mal recopié le mot que j'avais écrit au tableau. Je lui dis que ce n'est pas grave du tout, que cela peut arriver à tout le monde — à moi aussi bien sûr ! — et qu'en l'occurrence elle peut retourner à sa place.

« Mais Myriam, ce matin-là, a dû se lever du mauvais pied. (On nous demande toujours de leur trouver des excuses : en voilà une...) Elle insiste. Elle a décidé de m'accuser, donc elle m'accuse. De quoi ? Question sans intérêt. En partant d'un évènement insignifiant, d'une misérable petite erreur qu'elle a faite, la voilà donc qui m'attribue une grosse erreur, une faute majeure, et elle n'en démord pas. Je me fais quasiment traiter de menteur par cette élève, dès 8h38, comme ça, sans préavis, sans raison. Et je comprends qu'elle voudrait que je m'excuse platement devant elle. Comme elle ne veut pas retourner à sa place, je finis par la prendre par le bras et la raccompagne presque jusqu'à son siège. Encore par le bras, me direz-vous ! Toujours la même erreur ! Eh oui, la suite va montrer que j'ai encore eu tort...

« De 8h40 à 11h30, Myriam ne desserre pas les dents. Je l'entends grommeler de temps en temps qu'elle va le dire à sa mère. Entre 9h et 10h, je me dis que ça va lui passer, qu'avec la récréation de 10h elle va penser à autre chose. Faux espoir. Elle reste hargneuse jusqu'à la sonnerie de 11h30. Elle descend vite et ce qui devait arriver arriva : j'en suis encore à faire descendre les derniers que la mère de Myriam me fonce dessus, le doigt accusateur pointé en avant, sa progéniture juste à côté, prête à savourer sa vengeance. Vengeance de quoi, d'ailleurs ? Qu'est-ce que je lui ai fait au juste ?

« La mère, donc, m'interdit à haute voix devant tout le monde de toucher à sa fille ; bizarrement, elle se met ensuite à interdire à sa fille de manquer de respect à son professeur... Après m'avoir bien engueulé, elle me prend à témoin ! Pour me montrer comment elle éduque bien sa fille. Il n'y a que dans la réalité qu'on voit ça ! Elle nous prend, Myriam et moi, pour deux fautifs qu'elle estime de son devoir de réprimander. Et bien sûr, l'instant d'après, elle nous demande de nous réconcilier !

« Une collègue m'a fait remarquer ensuite que j'ai eu tort de rester dans les escaliers ; que j'aurais dû remonter immédiatement en invitant la mère à me suivre en classe. Ma collègue a raison. La vivacité de cette mère m'a fait oublier qu'en remontant les escaliers jusqu'à ma classe elle aurait eu le temps de se calmer (peut-être) un tout petit peu, et qu'assis en classe nous aurions été un peu plus à l'aise pour nous expliquer. Une erreur de plus ! Il faut vraiment que je m'améliore...

« Néanmoins, en repensant à ce bon conseil, un petit détail me revient après coup : comme je le dis plus haut, une partie des élèves étaient encore en haut des escaliers lorsque la mère de Myriam éleva la voix. Dans l'hypothèse où je serais immédiatement remonté en classe avec elle, il serait donc resté près d'une dizaine d'élèves en haut des escaliers qui, s'estimant « non raccompagnés », auraient pu en profiter pour faire on ne sait quelle bêtise au premier étage... Avec bien sûr la responsabilité engagée du professeur en cas d'accident... J'ai déjà eu l'occasion de le dire sur ce site : il est de ces situations où il n'existe aucune bonne solution ; il faut alors opter pour LA MOINS MAUVAISE.

Un acte grave à l'école primaire est "impunissable" aujourd'hui en France

« Après Consuelo et Myriam, évoquons Antoine : 9 ans, petit, mais capable de développer une force considérable. Antoine a la haine. Comme tout le monde, il a peur de Myriam et de Consuelo ; mais ni Consuelo ni Myriam ne s'approchent trop de lui. Myriam, je l'ai dit, s'en prend surtout aux enfants beaucoup moins forts qu'elle : elle ne voit pas trop d'intérêt à prendre des risques inutiles quand il y a tant, dans cette grande école, de petites proies faciles à sa portée. Elle ne cherche donc pas trop noise à Antoine. Elle a raison.

« Un jour, dans le couloir, un élève de la classe a dû agacer Antoine. C'est Quentin, sorte de Myriam pâlichon au masculin, beaucoup moins dangereux qu'elle parce que beaucoup moins fort dans tous les domaines : moins fort physiquement, moins intelligent. La preuve : il ne s'est pas rendu compte qu'il ne fallait pas titiller Antoine. Il ne l'embêtera plus. J'ignore ce qu'il a fait mais j'ai vu Quentin voltiger en l'air. Antoine l'a bien projeté à 2 mètres de hauteur. Je m'en souviens très bien : j'ai dû lever la tête ! J'ai vu passer devant moi le baron de Münchhausen. Par je ne sais quel miracle, en s'écrasant sur le sol Quentin ne s'est rien cassé. Ils ont appris à s'endurcir : seul véritable apprentissage que fournit ce type d'école. Silence. Tiens, c'est la première fois qu'ils ne font aucun bruit. Tout le monde se tait. Consuelo et Myriam s'écartent prudemment d'Antoine. Antoine est très dissuasif dans ces moments-là.

« Ai-je puni Antoine ? Non bien sûr. Comment aurais-je pu le punir ? En lui faisant recopier 10 fois Je ne dois pas envoyer valdinguer mes petits camarades jusqu'au plafond... ? Imaginez la tête d'un parent d'élève ou d'une inspectrice qui tomberait là-dessus : Monsieur, qu'est-ce que c'est que ces sornettes ? qu'est-ce que vous leur faites écrire ? Vous avez bu ou quoi ?!

« Alors convoquer son père ? (Ou plutôt l'inviter humblement.) Inutile, il ne se déplacera pas. Et ça ne changerait rien au comportement d'Antoine (qui le tient de son père). J'en parlerai lors des prochaines réunions entre maîtres, Antoine étant « signalé » comme les trois quarts de la classe, mais nous savons tous que ce genre de discussion n'a jamais résolu aucun problème de ce type. Du reste, Antoine n'est pas le plus perturbateur de la classe ; contrairement à Consuelo ou Myriam il ne m'a presque jamais manqué de respect ; il ne ment jamais non plus ; et bref, puisque les recommandations officielles de l'Education nationale nous demandent tout le temps de DISCUTER, pour une fois, dans le cas d'Antoine, j'admets qu'il n'y a rien d'autre à faire. (Je rappelle quand même que dans de nombreux cas cette injonction du Discuter-Négocier-Comprendre est une vaste fumisterie : allez donc voir si c'est efficace avec Consuelo ou Myriam !)

« Bien entendu, si j'avais eu le pouvoir de renvoyer Antoine quelques jours de l'école, je l'aurais fait. Sans acrimonie. Par principe. Pour que tous les élèves se rendent compte qu'on peut être sanctionné pour violence à l'école. Mais je rappelle qu'en primaire les sanctions ne sont PAS autorisées. (Et si j'en crois l'actuel ministre de l'Education nationale, elles vont continuer de l'être toujours moins dans le secondaire ; c'est dire à quel point le pire est encore devant nous.)

« Je n'allais pas non plus dire à Antoine : je te prive d'une moitié de chaque récréation pendant deux jours, rare punition encore autorisée en primaire. Ç'eût été insignifiant par rapport à l'acte commis. (Quentin aurait très bien pu se retrouver en fauteuil roulant jusqu'à la fin de ses jours.) Et je préfère qu'Antoine aille se défouler en courant. D'autant plus qu'en le privant de récréation je me serais moi-même privé de toutes mes pauses pendant deux jours !... Les gens sont naïfs : certains croient que nous, les professeurs, cela nous ferait plaisir de punir. Ils se trompent d'époque. Quand un professeur d'aujourd'hui punit un élève, il se punit lui-même puisque cela lui fait du travail en plus. Au lieu de souffler pendant 5 minutes, au lieu de faire une petite pause-café ou une pause-pipi, on s'oblige pendant la récréation où l'on n'est pas de service à garder un élève. Et comme on ne peut pas rester seul avec un élève, on s'oblige à en garder plusieurs ! Et quand la sonnerie sonne, on s'aperçoit que l'on n'a plus le temps d'aller à la photocopieuse...

« Comme enfin ce type de micropunitions ne dissuade plus aucun de ces élèves-là depuis longtemps ; — ce qu'ignorent superbement les hauts fonctionnaires du ministère de l'Education nationale — puisque donc elles sont parfaitement inefficaces (et qu'on ne peut d'ailleurs rien faire si un élève, simplement, REFUSE de faire sa punition), moins on « punit », mieux on se porte.

« Voilà pourquoi Antoine ne fut pas puni.

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« La discussion avec Antoine fut toutefois très instructive. Antoine est très différent de Consuelo ou Myriam : lui, il assume tout ce qu'il fait et le justifie arguments à l'appui. Je découvris un enfant parfaitement rationnel, bien plus lucide que la plupart des adultes que nous sommes. Son raisonnement fut d'une logique implacable. Il m'expliqua calmement que :

— Il ne verrait pas d'inconvénient à ce que je le punisse mais il sait très bien que, par rapport à ce qu'il a fait, je ne peux pas le punir.

— Il souhaiterait surtout que je punisse tous ceux qui font des bêtises mais il voit bien que dans cette école les adultes ne punissent jamais les enfants [comprendre : de façon suffisamment dissuasive] et que les enfants continuent donc tout le temps de se taper entre eux.

— Il sait bien pourquoi les adultes ne punissent jamais les enfants : parce qu'ils n'en ont pas le droit.

— Il a compris ça depuis très longtemps, ce qui guide sa conduite depuis toujours : chaque fois qu'il se fait embêter, il a pris l'habitude de ne pas aller se plaindre auprès d'aucune maîtresse et il préfère se faire justice lui-même.

— Il est d'ailleurs satisfait de son propre comportement puisqu'il a remarqué que c'était plus efficace que d'aller se plaindre : lui, en général, on le laisse tranquille malgré sa petite taille.

« Antoine a tout bien résumé. Je n'ai rien à ajouter. Avant de nous séparer, je lui susurre les petites phrases à dire dans ces cas-là : tu sais que tu aurais pu lui faire très mal, il faut vraiment que tu te calmes un peu, je me fais du souci pour toi, allez, va courir un bon coup. Voilà, j'ai fait mon job, il vient de m'expliquer qu'à la moindre occasion il recommencera mais j'ai fait mon job...

« En trois minutes il avait fait le tour du problème : les professeurs n'ont plus aucun pouvoir à l'école. Je n'aurai pas pu dispenser beaucoup de leçons dans cette école mais j'en aurai prises. Comme sur le banc de l'université, je prends des notes. Antoine, 9 ans, m'explique la vie.

« Bien sûr il ne manque pas d'exemples. Il prouve les choses, l'une après l'autre : regarde ! Hier [untel a fait ça], qu'est-ce qu'il a eu ? Rien. On lui a juste dit de faire ça. Gna-gna-gna ! Il s'en fout. Il n'a rien fait. Il a recommencé après. Et maintenant c'est pire. (...) Et regarde, elle ! Elle empêche tout le temps tout le monde de travailler ! Pourquoi on lui dit rien ? J'en ai marre de cette école.

« Exemple d'échange entre nous :

— Et celui-là ! [Il a fait ça, ça et ça.] Pourquoi est-ce qu'on ne le renvoie jamais de l'école ?
— On n'a pas le droit.
— Je sais mais pourquoi ?
— Parce que c'est interdit.
— Mais pourquoi ?!
— Le gouvernement ne veut pas...
— Il est con ce gouvernement !
— Pas de gros mot s'il te plaît.
— Je dis ce que je veux. De toute façon tu peux pas me punir, tu viens de le dire !
— C'est pas une raison.
— Si c'est une raison ! J'en ai marre de cette école et de ton gouvernement !
— Tu sais qu'après ce que tu as fait, c'est toi que je devrais renvoyer de l'école...
— Eh bien renvoie-moi !
— ...pour au moins quelques jours...
— Et renvoie les autres aussi !
— ...mais je ne peux pas.
— Ah ! Tu vois !
— Mais pourquoi est-ce que vous ne vous aimez pas les uns les autres ?
— Aimer qui ? quoi ? [Un nom] cette tarée ?! [Autre nom] ce débile ?
— Eho, tu ne crois pas que ce serait plus simple si chacun se respectait ?
— T'as qu'à leur dire !
— Eh bien je te le dis à toi.
— Eh bien dis-le aux autres ! De toute façon ça sert à rien !
— (...) Au fait, tu ne t'es pas fait mal ?
— Hein ?
— ...quand tu as envoyé Quentin en l'air ?
— Non, pourquoi ?
— Comme ça. Je voulais être sûr que tu ne te sois pas fait mal.

« Je ne cherche pas à argumenter tellement je pense qu'il a raison, et que nous, adultes, avons tort. Je parle bien sûr de ses déductions intellectuelles, de son analyse de la situation ; pas de sa traduction finale débouchant sur des actes d'une violence complètement disproportionnée ! Si l'on omet un instant son dernier accès de colère, ses arguments sont parfaitement valables, clairs, simples, justes. Je n'ai rien à lui opposer. Après ce qu'il vient de faire un quart d'heure plus tôt, je me fais moi-même violence pour ne pas lui avouer que ses arguments contre le laxisme institutionnel actuel sont aussi les miens.

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« Antoine illustre ainsi son discours de quelques histoires récentes. Je sais qu'il dit vrai. Pourquoi se donnerait-il la peine d'inventer puisque la réalité est là, crue, devant nous ? J'ai presque honte de faire partie de la race des adultes. Qu'avons-nous fait ! Antoine, comme les deux tiers de la classe, est un enfant que l'école — avant toute autre raison — a rendu malheureux. J'eus assez de discussions avec différents enfants de cette classe pour constater que s'il y avait bien UN motif de plainte ininterrompu dans leur bouche, c'était cette école exécrée. (Si je leur demandais : et ça va comment à la maison ? les réponses étaient bien plus positives.) On aime se protèger derrière l'idée que « la société » serait cause de tout... C'est oublier que l'école a beaucoup moins de moyens de pression à sa disposition que n'en ont les parents (au moins ceux qui acceptent de les utiliser) à l'égard des enfants. Et cela se paie.

« Malgré ses neuf ans, je sens Antoine déjà profondément blasé, lassé de l'impuissance des adultes, ulcéré du n'importe-quoi généralisé qui en résulte et qui débouche logiquement sur la toute-puissance arbitraire de quelques-uns au grand détriment du plus grand nombre. A l'instant même, j'ai l'impression d'être le représentant malgré moi de ces adultes qui ont mis tous ces enfants dans cette situation de haine, d'échec et de misère morale. Ce que réclame Antoine, c'est de l'autorité, de la vraie : celle qui passe par des punitions et contraintes véritables, effectives, suffisamment désagréables pour dissuader et faire changer les comportements. Pas nos salamalecs habituels, puérils et inutiles. Pour le coup, je m'en excuserais presque au nom de tous les adultes de ce pays. Nous sommes les grands responsables de ce désastre. J'en oublierais qu'Antoine a failli casser la tête de son voisin...

« Il est assez singulier de constater qu'un enfant de neuf ans, pourtant gorgé de haine, a tout compris du problème de l'école d'aujourd'hui et vous démontre en toute simplicité quelle est la solution à ce problème (créé de toute pièce par l'élite de ce pays tranquillement installée dans ses salons dorés).

« La solution proposée par Antoine, c'est donc aussi la mienne : punir un peu quand il y a une petite faute, punir sévèrement quand il y a une faute grave. Or, puisque les punitions sévères — c'est-à-dire, à notre époque, les sanctions de renvoi (les punitions corporelles d'antan n'étant plus admissibles) — n'existent toujours pas en primaire, on ne peut punir que les petites erreurs mais jamais un acte grave. Un acte grave commis dans une école primaire aujourd'hui en France est par définition « impunissable ».

« Si un jour Antoine tue quelqu'un pour de bon, nous le devrons à ces beaux parleurs : les tenants de l'idéologie anti-sanction à l'école. Ils n'ont toujours pas compris qu'en créant l'impunité leur idéologie crée la haine et le malheur. Et ils osent en plus se présenter comme les défenseurs des enfants !

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« Passons à Kadi (autre nom d'emprunt). Rappelons qu'il s'agit toujours de la même classe.

« Kadi a alors 11 ans et demi. J'ai de bons rapports avec lui. Certes il est très agaçant mais je ne sais pas pourquoi : on s'entend relativement bien. La particularité de Kadi, c'est qu'il ne fait rien en classe. Quand je dis rien, ça veut dire RIEN. Rien du tout, quoi ! En fait, son seul passe-temps c'est de jouer à « Men in Black » : du fond de la classe il brandit deux grandes équerres et il tue tout le monde... Comme il m'aime bien, j'ai réussi à obtenir une concession de sa part : il n'a pas le droit de viser le maître. Bien sûr, officiellement il n'a le droit de viser personne ! Dans la pratique, il admit seulement qu'il n'était pas convenable qu'il tuât son professeur, même virtuellement ; alors il se contente de tuer dix fois par jour tout le reste de la classe.

« J'entends les récriminations : quoi ! vous laissiez faire ! Vous laissiez donc, M. le professeur, l'un de vos élèves passer son temps à tuer virtuellement tous les élèves de la classe ? Vous tolérez ça, vous ne dites rien ?!

« Comment vous dire... Expliquons-nous simplement. Dans cette classe, il y avait 28 ou 29 élèves. En général, il y avait donc SIMULTANÉMENT plusieurs incidents à la fois : pendant que Kadi manie ses équerres, Consuelo se lève pour shooter dans un cartable qui la gêne et renvoie aussi violemment sur sa chaise le propriétaire du cartable qui n'aura pas eu le temps de protester longtemps ; à côté, un élève en accuse un autre de lui avoir volé son beau stylo neuf ; par ici, ça bavarde et ça s'insulte ; là-bas, un élève ouvre dangereusement la fenêtre... Et donc, tout est une question de priorité. Si Kadi est seul à jouer avec ses deux mitraillettes en plastique pendant qu'aucun autre ne fait une bêtise, alors oui : je vais dire à Kadi d'arrêter de jouer à Men in Black et que s'il continue je l'envoie chez la directrice. (Comme cette dernière, en l'occurrence, n'hésitait pas à lui faire quelques misères, c'était assez dissuasif.) Alors Kadi accepte de ne plus rien faire. Dans ses bons jours, il consent même à faire quelques figures géométriques sur une feuille. C'est pour ça que je ne peux pas lui interdire le compas. Si je le faisais, je le priverais de la seule activité qu'il aime un peu : faire des ronds et des étoiles avec son compas. Après il les colorie, puis il me les montre fièrement, et je le félicite alors.

« Parenthèse : Kadi est officiellement en CM2, ses parents ayant toujours refusé toute orientation pré- coce, la loi du 10 juillet 1989 leur donnant en matière de redoublement le dernier mot hors fin de cycles (c'est-à-dire sauf à la fin du CE1 ou à la fin du CM2 pour l'école primaire).

« En revanche, si Kadi joue à tuer toute la classe pendant que Myriam jette une trousse à l'autre bout de la classe (avec par exemple un compas ouvert qui s'en échappe), je vais donner la priorité à la trousse au lieu d'embêter ce pauvre Kadi. Si maintenant, pendant que Consuelo s'appuie sur la tête d'un élève quelconque (en attendant avec délectation la réaction à venir), que deux autres élèves sont en train de se menacer de mort plus fortement qu'à l'accoutumée et qu'un quatrième élève vient d'ouvrir la fenêtre, alors je vais donner la priorité à la fenêtre : je ne veux pas qu'Antoine ou consorts m'en balancent un par dessus bord ! En somme et par la force des choses, je dois bien le confesser : Kadi et ses équerres étaient généralement le cadet de mes soucis.

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« Alicia. Dans mon petit organigramme intérieur, je ne la rangeais pas parmi les cinq élèves les plus difficiles de la classe. Mais je dois dire qu'un jour elle ne fit pas preuve d'une grande gratitude.

« Nous sommes sur le trottoir, en train d'attendre notre bus pour aller au foot. Les élèves, pour une fois, semblent assez calmes. Je les éloigne régulièrement du bord du trottoir. Je vois le bus qui arrive. Il se rapproche. Tout va bien.

« Le bus est à dix mètres lorsque subitement Alicia fait un bond en arrière, vers la rue, à l'endroit précis où le bus arrive... Elle vient d'esquiver un geste quelconque d'un autre élève. Comme d'habitude il suffit d'une seconde pour qu'une dispute éclate. Alicia est déséquilibrée et oscille dangereusement au bord du trottoir. Le bus n'est plus qu'à quelques mètres. Je me rue sur Alicia. Je l'attrape par le bras (encore !) et la tire vigoureusement vers moi. Ouf ! Sauvée ! Pour Alicia, mon geste est brutal et c'est vrai qu'il le fut. Mais je suppose que le bus l'eût été encore plus.

« Alicia, qui ne s'est pas aperçue que sa tête a frôlé le bus, se retourne vers moi, outrée, en éructant : Tu va voir ce qu'elle va te faire, ma mère ! Décidément, ça ne fonctionne pas trop cette année-là avec les mamans. Je dois avoir un problème. Faudrait que j'aille consulter... Au moins mon cardiologue.

« En attendant, je me rends compte de la chance que j'ai eue d'avoir été à côté d'Alicia quand elle a fait ce grand écart vers le bus. Quelques mètres plus loin et je ne pouvais pas la rattraper... (Je n'ose même pas y penser.) Merci la providence !

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« Nouvelle parenthèse. Je reviendrai plus longuement un jour là-dessus, mais le lecteur doit déjà bien comprendre qu'avec ce type d'élève AUCUN professeur ne peut faire son travail véritable — vous savez, l'instruction... (quoi ça ?...) l'instruction !... (ah oui !...) — s'il n'a pas plus de pouvoir qu'aujourd'hui. L'habituelle ritournelle « il ne faut pas baisser les bras ! » que j'ai entendue des dizaines et dizaines de fois, surtout de la part des professeurs du primaire, est devenue dérisoire : un leitmotiv plus qu'éculé, un réflexe purement conditionné. Pourquoi ? Parce que dans ce type d'école, les élèves de TOUTES les classes ou presque ont 2 ans de retard dès le Cours Elémentaire et 3 ans de retard au Cours Moyen !

« Vous l'avez compris, ce n'est qu'une moyenne : les meilleurs n'ont qu'un an de retard, et les moins bons, jusqu'à 4 ou 5 ans de retard vers l'âge de 11 ou 12 ans... Autant dire que ceux-là n'ont jamais décollé du CP. Or, ils ont tous comme professeurs des personnes souvent extrêmement dévouées qui « ne baissent pas les bras ». Tout le monde échoue mais l'essentiel est de « ne pas baisser les bras ». Ce qui signifie en clair : tenir bon jusqu'à la fin de l'année, être encore là, au milieu des ruines d'une école publique qui n'en finit pas de se disloquer, et continuer à se croire utile. Le vrai but n'est plus de transmettre des connaissances mais de se prouver à soi-même qu'on a été capable de leur résister.

« Je viens de raconter quelques anecdotes personnelles, mais je pourrais aussi bien retransmettre quelques bons mots de collègues de cette même école. Un jour, telle collègue revient victorieuse, regonflée à bloc, de son heure d'éducation physique : j'ai réussi à les faire travailler 3 minutes ! la semaine dernière, on n'avait rien fait ! Voilà un exemple d'une professeur des écoles qui « ne baisse pas les bras ». Nous applaudissons.

« Un autre jour, parce que j'avais grondé un élève d'une autre classe, qui venait de cracher au visage d'une des rares filles sages de ma classe, sa maîtresse (ma collègue de CM2) me fait signe et me dit à part, en chuchotant : méfie-toi ! t'aurais pas dû l'engueuler comme ça ; je connais sa famille ; fais gaffe parce que la prochaine fois tu vas avoir des problèmes... Je l'avais, c'est vrai, « engueulé » pendant 3 ou 4 petites secondes, prenant soin de ne jamais le toucher. (A force, on progresse.) Mais ma collègue savait de quoi elle parlait : ses cernes m'en disaient plus qu'un long discours. Quand un visage livide rencontre un autre visage livide, ils se comprennent rapidement. J'acquiesçai et remerciai du conseil.

« Après avoir appris qu'il ne faut pas les toucher, j'appris qu'il ne faut pas les gronder.

« Dans ma petite tête de professeur de base, je compte les points : je m'aperçois qu'à chaque fois que je veux (un tout petit peu) sévir, j'ai un problème de plus. Toute tentative de sévérité (très relative) me revient automatiquement à la figure. A cette époque, je commence à comprendre pourquoi de plus en plus de collègues donnent des 20/20 à tire-larigot, offrent des voyages, des sorties, toutes choses « culturelles » formidables — payées bien sûr par le contribuable — qui font d'eux les bons professeurs puisque appréciés des familles (ou moins mésestimés). Je m'aperçois vite qu'à mon modeste niveau un choix s'impose : accepter de laisser les familles gouverner l'école à distance ou alors... partir.

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« Par ailleurs, comme cela arrive souvent dans une grande école, l'une de nos collègues était enceinte. A un stade où cela devient très visible. Elle en était au sixième mois peut-être et je la voyais avec ses élèves en frémissant d'avance pour elle. Dans sa classe, un CE2, elle avait une sorte de « bande » d'une dizaine d'élèves qui ne lui obéissaient que très difficilement, c'est-à-dire quand ils le voulaient bien. Ils faisaient ce qu'ils voulaient. J'entendais parfois cette collègue hurler après eux, s'énerver, en rattraper un par le bras, un autre par la jambe. Et puis, à force de s'époumoner, elle devait faire une pause pour respirer. Alors la petite bande virevoltait à nouveau dans tous les sens. Cela, c'est ce que je voyais dans le couloir, moi-même aux prises avec mes propres élèves. Je ne pourrais pas dire ce qui se passait exactement à l'intérieur de la classe de ma collègue, mais on en avait quelques échos...

« Sur la question récurrente de la solidarité entre collègues, même s'il n'y en avait peut-être pas assez dans cette école-ci — en terme de traduction concrète — l'esprit de solidarité existait pourtant bien, les collègues se conseillant entre eux, essayant de mener quelques actions communes. Simplement, quand il s'agit de regrouper ses élèves à la fin d'une récréation pour remonter en classe, il est parfois difficile pour un professeur d'aider à regrouper les élèves d'une autre professeur fut-elle enceinte. La solidarité, c'est très bien, mais quand chacun est déjà dans la difficulté, on hésite à s'y mettre encore davantage et il arrive un moment où, sans tomber totalement dans le chacun-pour-soi, il faut bien en revenir à : chacun sa classe.

« D'ailleurs, inutile d'espérer la moindre once d'empathie de la part de la petite « bande » d'élèves en question. Que leur maîtresse soit enceinte, que cela leur fut expliqué en long, en large et en travers, cela n'éveillait pas en eux le moindre sentiment. La compassion, l'attendrissement, sont des choses qui s'apprennent avec l'âge. Ce n'est pas quelque chose de naturel chez l'enfant. Un enfant bien éduqué peut commencer à en avoir, même assez jeune, mais s'il n'a jamais été éduqué en ce sens, cela ne va pas lui venir, comme ça, tout seul. On peut même dire que plus ma collègue était à un stade avancé de son état, plus ils étaient infernaux. Logique : elle a moins de force, donc ils en profitent.

« En pensant au bébé, je me disais : pas même encore né, déjà stressé six heures par jours...

Appel aux professeurs et particulièrement aux femmes

« Mesdames les professeurs, puisque vous êtes majoritaires, surtout dans le primaire, permettez-moi ici de m'adresser à vous directement. Cela fait maintenant près de 6 ans que je travaille sur ce projet : redonner UN PEU de pouvoir de sanction aux professeurs que vous êtes, professeurs du primaire comme du secondaire. Je souligne UN PEU car il n'a jamais été dans mes intentions de revenir à une autorité très stricte ou très sévère. Du reste, toutes mes propositions comportent d'importantes limites et de nombreux garde-fous, le but étant bien sûr d'éviter au maximum les risques d'abus de pouvoir.

« Mesdames, pour qui croyez-vous que je fais ce travail ? Pour vous ! Oui, d'abord pour VOUS ! Ce n'est pas moi qui vais l'utiliser, ce regain de pouvoir que je me propose d'accorder aux professeurs, puisque j'ai démissionné ! C'est donc d'abord pour que VOUS en ayez, vous, du pouvoir, pour que vous puissiez mieux vous faire respecter, pour que l'on vous redonne enfin des moyens d'action suffisants dans l'exercice légitime de votre autorité, que je passe mes journées à analyser, étudier, proposer, à tenter de vous convaincre que la sanction à l'école est nécessaire. C'est désagréable, certes. Eh bien appelez cela un mal nécessaire si vous voulez, mais ouvrez les yeux ! Les enfants dont je décris le comportement ne sont pas des fous, loin de là. D'ailleurs, s'ils l'étaient, vu les nombreux psychologues scolaires ou éducateurs spécialisés qui tournent autour d'eux, cela se saurait !

« Soyons sérieux un moment. Que ces enfants aient « des problèmes », je n'en doute pas. Mais leur premier problème, LE problème à partir duquel tous les autres problèmes se greffent, c'est que depuis leur naissance ils semblent n'avoir jamais été contraints à rien. A force de vouloir leur éviter la moindre petite frustration, on les rend réfractaires à tout effort, on leur fait subir au final la grande frustration : cette sensation pénible, lancinante, de se retrouver dans un contexte qui échappe en grande partie au contrôle des adultes et laisse ainsi l'enfant devenir un loup pour l'enfant. J'ai souvent pointé du doigt, sur ce site, ce type de paradoxe : en voulant surprotéger l'enfant, on le met gravement en difficulté.

« Professeurs ! Vous qui parlez fréquemment de la nécessité de « ne pas baisser les bras », ne vous voilez pas la face ! S'il y a bien une façon de baisser les yeux, à défaut des bras, c'est de continuer à nier le fait que le problème de nombreux élèves d'aujourd'hui est d'abord d'ordre éducatif (au sens restreint du terme : apprentissage de la politesse, du respect des règles communes). En refusant l'idée de la sanction, vous vous ligotez les mains vous-mêmes, vous donnez le bâton pour vous faire battre ! En disant simplement : il y a un problème d'éducation du côté des familles (formule expiatoire parmi tant d'autres), vous oubliez de dire qu'il y en a un aussi du côté de l'école ! Si la famille ne sanctionne pas, si une mère esseulée ne tient plus ses mômes, si des enfants restent tard à vagabonder dans la rue le soir, pourriez-vous m'expliquer en quoi exactement allons-nous les aider en ne les sanctionnant jamais lorsqu'ils commettent des actes graves à l'école ?

« A ce propos, il y a justement cet éternel argument qui ressort sans arrêt : si l'on renvoie un élève, il va peut-être traîner dans la rue et faire des bêtises, et ce sera pire. Cet argument ne pourrait être (un peu) audible qu'à très court terme ; mais il est dérisoire à long terme. J'ai déjà eu l'occasion de dire ce que j'en pense (voir derniers paragraphes) mais je tâcherai d'y revenir un peu plus tard.

Complément (novembre 2008) : on trouvera ici une contre-argumentation détaillée.

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« A chaque fois que je parle de sanctions à l'école — et même lorsque j'évoque immédiatement le principe des limites, de la proportionnalité, des garde-fous nécessaires — on me ressort régulièrement le risque de l'abus de pouvoir. Mais pourriez-vous m'expliquer en quoi vous risqueriez de devenir des personnes dangereuses, le jour où vous auriez UN PEU de pouvoir ? A l'heure actuelle, les élèves ont plus de pouvoir que vous, les familles ont plus de pouvoir que vous... Rassurez-vous ! Aucune de mes propositions ne vous accordera un pouvoir exorbitant, il ne s'agit-là que d'un simple rééquilibrage.

« Vous faites-vous un tout petit peu confiance ? C'est VOUS qui l'utiliserez, ce nouveau pouvoir ! Je vous connais un peu puisque je vous ai côtoyées pendant quelques années. Je suis sûr que ce nouveau pouvoir, vous l'utiliserez avec discernement. Vous n'êtes pas des irresponsables !

« Voilà ce que j'ai envie de vous dire : réveillez-vous, chères collègues ! C'est aussi votre santé qui est en jeu. Ce sont aussi vos bébés et la société dans laquelle ils vivront.

« Au fait, chères femmes, QUI vous a retiré le pouvoir entre 1985 et 2000 ? Des hommes. Des hauts fonctionnaires du ministère de l'Education nationale. En effet, au bas de ces funestes Bulletins Officiels de l'Education Nationale qui vous ont dérobé les attributs de l'autorité, que vois-je comme signatures ? Qui sont ces directeurs de l'enseignement scolaire et autre ? Que des hommes dans leur beau costume et leur beau bureau bien chaud l'hivers, bien climatisé l'été. Ils vous ont privées de tout moyen d'action face à des élèves difficiles, ils retirent tout pouvoir aux femmes de terrain que vous êtes (en majorité) et vous acceptez ça sans broncher ?? Cela fait plus de 20 ans que ça dure ! Vingt ans, cela ne vous suffit pas ? A quoi cela sert-il alors de continuer à dénoncer à notre époque le manque de pouvoir des femmes par rapport aux hommes ? Il n'y aurait donc que les femmes professeurs qui devraient être interdites de tout pouvoir, même face à des enfants ? C'est là votre souhait ?

« Ce ne sont pourtant pas eux qui sont enceintes à votre place, derrière votre table branlante qui vous sert de bureau, face à 30 élèves survoltés qui répondront tout juste hein ? quoi ? quand on voudra leur faire remarquer que dans ce ventre qu'ils ont bousculé tout à l'heure il y a quelqu'un.

« Chères collègues, reprenez UN PEU de pouvoir ! Non PAS TOUT le pouvoir mais un pouvoir suffisant ! Si vous ne le demandez pas, vos collègues hommes ne le feront pas à votre place... Parce qu'ils sont minoritaires, parce qu'ils espèrent peut-être que la seule force physique résoudra tous les problèmes d'indiscipline (ce en quoi ils se trompent), parce qu'ils ne sont pas enceintes avec des élèves difficiles, parce qu'un homme qui veut plus de pouvoir est plus vite soupçonné d'autoritarisme, parce qu'ils sont peut-être aussi un peu moins courageux que vous... Ce pouvoir modéré, équilibré, consistant quoique limité, il ne vous tombera pas tout seul dans les mains si vous ne le demandez jamais !

« Comptez le nombre d'années qu'il vous reste avant la retraite : dix ans, vingt ans, trente ans ? Ne pensez-vous pas que cela vaudrait le coup de travailler dans de meilleures conditions ?

« Que pouvons-nous faire ? me direz-vous peut-être. Eh bien VOUS POUVEZ faire quelque chose. Cela n'est pas si compliqué ! C'est même assez simple : dans vos prochaines manifestations, plutôt que de demander toujours plus de postes ou d'argent, demandez plus de pouvoir ! Demandez le droit de sanctionner un élève qui ne vous respecte pas ! Ou ne vous plaignez pas ni aujourd'hui ni demain.

« Posez-vous cette question : qu'est-ce qui embête le plus un gouvernement quel qu'il soit ? Qu'on lui demande de l'argent. Alors demandez-lui du pouvoir ! Cela ne coûte rien, le pouvoir que je vous propose. C'est cadeau ! C'est gratuit pour vous, gratuit pour le gouvernement. Et puisque cela ne coûte rien au gouvernement, pourquoi vous le refuserait-il, ce pouvoir qui raffermirait grandement votre autorité ?... Vous risqueriez de mal l'utiliser ? Vous seriez toutes et tous des irresponsables ? des femmes et des hommes dangereux ? Je ne peux pas y croire !

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« J'en entends encore qui disent : renvoyer un élève un jour, cela ne servira à rien. Ah bon ? Et qu'en savez-vous puisque dans le primaire cela n'existe pas ? Et qui vous dit que vous n'auriez pas d'autres moyens ? Qui vous dit que la somme de tous ces nombreux nouveaux moyens d'action — que je me propose de vous offrir sur un plateau d'argent, prêt à servir ! — ne finiraient pas par être efficaces au bout du compte ? Question perfide : ne serait-ce pas les mêmes qui disent d'une part qu'il « ne faut pas baisser les bras » et qui estiment d'autre part, sans aucun retour d'expérience en la matière, que toute tentative de réinjecter un peu de sanction dans le système Education nationale serait forcément vouée à l'échec ? Il y aurait donc des défaitismes victorieux ?!

« En résumé, que constate-t-on avec les années 1990 et 2000 ? Deux-trois faits incontestables :
— une vaste entreprise de diminution du pouvoir de sanction ou punition du professeur ;
— une forte augmentation de l'indiscipline et la violence à l'école (avec échec scolaire de masse).

« On pourra dire ce que l'on veut, mais la coïncidence est troublante... Plus on a baissé le pouvoir du professeur à l'échelle nationale, plus les désordres scolaires ont partout augmenté ! Il est vrai que pour ne jamais faire le rapprochement, les opposants à toute sanction à l'école — qui sont paradoxalement assez nombreux chez les professeurs (nous y reviendrons) — évoquent sans cesse des causes externes à l'école : milieu socio-économique défavorisé, environnement culturel pauvre, difficultés personnelles, relations familiales problématiques... En somme, si un élève se comporte très mal en classe, ce serait forcément parce qu'il est soit pauvre (économiquement ou culturellement), soit dans la difficulté. Ce qui constitue toujours les bonnes excuses, ou plutôt les prétextes pour ne jamais sanctionner à l'école.

« Pourtant, j'ai souvent remarqué l'inverse ! J'ai vu de nombreuses familles pauvres dont les enfants se comportaient très bien ou au moins respectueusement, des enfants dont les parents étaient séparés mais qui n'en obéissaient pas moins aux règles de l'école et de la vie en société ! Ce qui n'était guère le cas de Consuelo, pourtant vénérée par sa mère, ni de Myriam, défendue bec et ongle par la sienne, voire d'Alicia, elle aussi fort aimée par sa maman et plutôt « bien dans ses baskets ».

« En outre, toutes trois étaient tout à fait bien habillées, en bonne santé, montraient par toutes sortes de signes extérieurs un minimum d'aisance matérielle que beaucoup d'autres élèves n'avaient pas dans cette classe. Rajoutons que Myriam ou Alicia n'avaient aucun complexe physique et que les mamans de ces deux élèves, loin de se désintéresser de l'école, faisaient au contraire de louables efforts pour y être régulièrement présentes, notamment lors des réunions de parents d'élèves. Elles sont donc OÙ les conditions de vie particulièrement difficiles qui seraient censées tout excuser ?? Et en quoi la sanction serait-elle néfaste pour ces enfants ? La sanction, c'est justement la seule chose qui leur manque !

« S'il y en avait un qui était indigent, c'était Kadi. Cela il faut le reconnaître : Kadi entrait bien dans ce schéma-là. Mais pas Consuelo ni Myriam ni Alicia ! Quant à l'élève peut-être la plus pauvre de toute la classe (la directrice de l'école m'avait fait part de sa situation très précaire), elle était d'une profonde gentillesse et courtoisie ! Et faisait bien sûr, à l'occasion, partie des victimes de Consuelo et Cie...

« Il serait temps, un jour, de comprendre que la faiblesse des moyens de pression des professeurs à l'égard de leurs élèves (lorsque certains d'entre eux sont réfractaires à toute « autorité naturelle »), dessert au plus haut point les élèves les plus fragiles et les plus véritablement dans la difficulté.

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« Si maintenant vous pensez vraiment que les comportements ne changeront pas avec davantage de sévérité à l'école, acceptez au moins de soupeser quelques premiers contre-arguments défendant l'idée que les sanctions à l'école primaire ne déboucheraient pas nécessairement sur de fortes perturbations dès lors qu'elles seraient mises en place de façon progressive — éventuellement en commençant par quelques « départements pilotes » — et en ayant pris soin d'en informer bien à l'avance les parents d'élèves concernés. (Ces arguments seront plus amplement développés, avec d'autres, dans une toute prochaine étude, voire au sein d'une nouvelle proposition concrète.)

« Croyez-vous surtout que vos dérisoires moyens d'action actuels, lorsque vous aurez une classe très difficile, vous permettront encore d'être efficaces ? Croyez-vous vraiment que c'est en remettant encore de l'argent dans le système que vos élèves vont devenir des anges ? Et quand je dis « efficaces » je ne veux pas seulement dire : vous faire respecter de vos élèves. Non, je veux surtout dire : arriver à les mettre au travail rapidement, véritablement (au moins 30 à 40 minutes par heure au cycle 3) et dès le mois de septembre. Pas seulement — et plus ou moins... — à partir de février ou mars !

« Réfléchissez bien avant de répondre à ces questions. Et si vous ne voulez pas m'écouter, écoutez au moins Antoine ! Ou bien encore ces enfants du VIe Parlement des enfants. (Dont je conteste l'existence mais passons.) Ou si vous ne faites vraiment confiance qu'aux grands auteurs universellement connus, écoutez Victor Hugo ! Parce que l'occasion pour vous — au profit de tous les enfants de ce pays — de récupérer un peu de pouvoir ne se renouvellera peut-être pas de sitôt si jamais le projet Etat de droit devait finir par rester lettre morte, faute de combattant(e)s...

« Professeurs ! Professeurs des écoles, des collèges et lycées, en connaissez-vous beaucoup, des sites qui se proposent ainsi de réhabiliter en profondeur votre autorité institutionnelle ? En connaissez-vous beaucoup, des projets de renforcement global de l'autorité à l'école aussi détaillés que celui présenté sur Etat de droit ? Prenez bien conscience de ceci : la perche qui vous est tendue, si vous ne vous en saisissez jamais, finira par retomber ! Il sera alors trop tard pour vous plaindre du manque d'éducation de certains de vos élèves. Car vous ne pourrez plus dire que la balle n'a jamais été dans votre camp : elle l'est ! Aujourd'hui même ! Et dans votre cas, la laisser tomber signifiera perdre toujours plus...

« Ce pouvoir que l'on vous a chapardé, vous n'êtes jamais venus le réclamer ! Il ne reviendra pas tout seul. Vous avez été victimes d'un monumental lavage des cerveaux. Libre à vous de vous en affranchir. Vous estimez qu'il « ne faut pas baisser les bras » ? Eh bien, justement, levez-les ! Levez-vous tout entier ! Demandez votre dû, votre pouvoir, votre dignité de professeur, votre légitimité institutionnelle ! Exiger la restitution des attributs de l'autorité que l'on vous a sournoisement retirés !

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« Ah ! J'allais oublier un dernier détail... Il ne faudrait pas croire que les quelques élèves que je viens d'évoquer à la marge sont les plus durs qui soient. Bien entendu, il y a pire ! Et si rien ne change, le pire d'aujourd'hui deviendra la norme de demain. Quant au pire de demain... Il suffit de discuter entre quatre yeux avec quelques professeurs de ces écoles excentrées qui entourent les grandes villes pour s'apercevoir que les petites péripéties que je viens de rapporter deviennent de plus en plus « banales » en comparaison de ce qui se fait ailleurs. Je me souviens par exemple de ce chauffeur de bus qui nous accompagnait au foot et qui me dit un jour que là-bas, dans telle zone, près de telle ville, il prenait dans son bus des enfants particulièrement agressifs et imprévisibles. Qu'il ne devait son salut qu'à son origine. Et que les miens, pour lui, tels qu'il les voyait là, lui apparaissaient tranquilles et gentils.

« Ce jour-là j'ai encore appris que dans cette école nous avions des élèves gentils.

« Jean-Yves WILLMANN

Septembre/octobre 2008

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