Etat de droit
[29 octobre 2006]
Proposition E17 Proposition complète
Pourquoi
Pourquoi
?
?
Il
n'y a que les apparences qui sont dorées. Dans la continuité d'autres disproportions,
des centaines d'écoliers se font appeler chaque année : députés-juniors voire jeunes députés, le temps d'un Parlement des enfants qui se réunit
à la fin de chaque année scolaire depuis 1994 sur les bancs de nos vrais députés.
Tant qu'on y est, pourquoi ne pas appeler ces derniers : écoliers-séniors ! Ou : vieux potaches ! Et le Président de
la République : le Prés' de la Rèp ! Et le juge des enfants : jeu-de-loi ! Et le juge d'application (des peines) :
Juda !… Tant qu'on y est, pourquoi en effet ne pas tout inverser, ne pas tout déformer, ne pas tout confondre ?
Après tout, les professeurs se font bien appeler (au mieux) : « profs ». [Cf. à cet égard la
Proposition E18.]
Etat de droit présente ses excuses à tous pour avoir omis quelques syllabes...
Mais comme dirait Pascal Bruckner :
dans cet enthousiasme pour la puérilité, ce sont les jeunes qui
sont sacrifiés, car les aînés ont pris leur place (Figaro magazine, novembre 2005).
Dans cette histoire
saugrenue de parlementaires impubères, on retiendra surtout qu'ils sont aiguillés du début jusqu'à la fin, et
pas forcément dans le bon sens. D'une année sur l'autre, comme par hasard, on retrouve approximativement les
mêmes «propositions de loi» autour des mêmes thèmes. Et bon nombre
— on s'en serait douté... — visent à augmenter le pouvoir des élèves.
Petit aperçu des seules demandes parvenues à l'Assemblée nationale en 2002 et 2003 : rendre
obligatoire les conseils municipaux d'enfants ; le Conseil des Elèves sera composé
d'un élève par classe et de deux adultes [et prend des décisions] ; chaque classe
de cycle 3 doit élire un délégué et un suppléant pour siéger au conseil d'école [...] et prendre part au
vote des décisions ; etc.
Les enfants ne grignotent pas seulement la place des adultes : ils veulent s'y
mettre. Ça encore, c'est normal. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est l'inverse ! Or, parmi ceux qui convient
gaiement les écoliers à supplanter leur maîtresse figurent d'éminentes personnalités. (Le jury national qui retient
les «propositions de loi» finalement soumises au vote du Parlement des enfants
est composé de sommités désignées par le ministre de l'Education nationale et le Président de l'Assemblée nationale.)
Le gros piège, dans cette mascarade, c'est que pour cinq cents et quelques élèves qui se retrouvent sur les bancs de
l'hémicycle, ce sont des dizaines de milliers que l'on pousse chaque année à se
demander comment ils pourraient encore accroître leur pouvoir et encore diminuer celui des adultes.
L'éducation à la revendication permanente, juste avant d'arriver au collège... Et l'on s'étonnera ensuite de
les voir militer à l'école, banderoles à la main ! [Cf. l'exemple de Grasse.]
C'est pourquoi, tout sympathique d'apparence qu'il soit, ce Parlement des enfants contribue au plus mauvais
des conditionnements : celui qui réduit nos élèves à n'être jamais satisfaits, à s'imaginer au-dessus de leurs
parents et professeurs. Est-ce cela que nous voulons : une «république»
infantile ? Une chose est sûre, elle ne sera ni compétente ni démocratique. En attendant, quand UN écolier
est considéré comme un député, recevant honneurs et cadeaux-souvenirs, vingt-cinq restent à la maison.
(Et bien davantage, en fait, si l'on compte les classes dont le projet n'a pas été retenu.)
La jalousie y puise bien plus de combustible que la fierté.
A ce sujet, si l'on questionne un peu les uns et les autres, on peut discerner deux tendances bien distinctes :
beaucoup d'adultes souhaiteraient que ce Parlement des enfants perdure ; la plupart des adolescents préfèreraient
qu'il disparaisse. Les premiers semblent s'en faire une plaisante idée ; les seconds l'ont vécu de près ou de loin.
C'est la différence qu'il y a entre le fantasme et la réalité.
Alors regardons-là justement
d'un peu plus près, cette réalité... Le 17 mai 2003, à un délégué de classe qui exprimait ses inquiétudes
concernant le racket et la drogue aux abords des collèges, le ministre de l'Education nationale répondit :
comptez sur nous, les adultes, pour vous protéger ! [...] vous devez aller voir votre professeur.
Lui, je peux te le garantir, il vous aidera. Il vous répondra et vous protégera (extrait du
compte-rendu intégral du Xe
Parlement des enfants). Si seulement c'était vrai ! Quand on demande à un Élève (en chef) de bien vouloir
accepter de cesser ses agressions — non pas aux abords mais à l'intérieur de l'établissement — et qu'il
récidive dans la demi-heure, que fait-on ? On continue la discussion ?… C'est ce que les textes nous ordonnent
de faire. Mais hélas à la longue le problème s'aggrave. Alors quoi ? On essaye de contraindre ?… Fichtre non !
Les mêmes Instructions ne nous y autorisent point et ce type d'Élève s'en fait régulièrement l'écho.
Aussi, à partir du moment où la plus petite contrainte est bannie, on ne peut contenir les conflits que s'ils
restent mineurs (et encore : provisoirement) ; sûrement pas une fois qu'ils sont devenus importants. Du coup,
en garantissant à nos jeunes élèves ce que les faits démentent chaque jour un peu plus, nous risquons surtout
de développer en eux le sentiment d'être trahis. Et c'est ce qui se passe, ils ne sont
pas dupes : la violence, on en entend parler tout le temps, mais on ne fait rien pour lutter
contre [...] nous avons compris qu'il fallait que nous nous prenions en main tout seuls. (Extrait d'une
«proposition de loi» présentée par les élèves de CM2 d'une école de Guyane,
lors de ce même Xe Parlement des enfants. Elle fut examinée au matin du 17 mai 2003,
AVANT que le ministre ne s'exprime.)
La solution préconisée est par définition... enfantine ; mais le constat initial est juste. Honte à nous ! Nous les
avons mis dans de beaux draps avec nos conventions, nos lois, nos règlements, qui prétendent défendre l'individu en
occultant la collectivité. Face à ce magistral décalage entre la vision d'un ministre et le sentiment des élèves,
voici comment s'intercalait l'avis d'une professeur d'anglais des quartiers Nord de Marseille : Ils
n'ont aucune idée — mais aucune idée ! — de ce qu'on vit au quotidien. Ils ne savent rien des élèves
qu'on a en face de nous. Ils sont dans un autre monde. (Source : Le Monde du 18-19 mai 2003 ; cette professeur
de lycée de 37 ans faisait allusion à des débats menés par le ministère.)
Pour une fois, les distances sont bien respectées !
Certains, néanmoins, pourraient
rétorquer que les enfants, après tout, peuvent avoir de très bonnes idées pouvant conduire à de vraies propositions de loi,
puis à de réelles évolutions législatives (ce qui s'est déjà produit). Alors pourquoi s'en priver ? Eh bien, sous la forme
actuelle, pour au moins deux raisons :
Tout d'abord, rien n'empêche de récolter des idées d'enfants par d'autres biais que
celui de ce processus annuel conduisant à la constitution d'un Parlement des enfants. Et c'est précisément ce que
prévoit la Proposition E17.
Les inconvénients en moins : c'est-à-dire sans que la nécessaire distance entre enfants et adultes ne
soit brisée — laissant croire aux premiers qu'ils seraient déjà à même, dès l'âge de 10 ans, de prendre la
place des seconds et de revendiquer tout ce qui leur passe par la tête — et sans la dépense
inutile que constitue toute cette organisation, cette mobilisation de nombreux fonctionnaires pendant des mois
et ces voyages aller-retour jusqu'à Paris de centaines d'écoliers venant des quatre coins de la France, D.O.M. compris.
(On aurait pu trouver meilleure affectation de l'argent des contribuables...)
Par ailleurs, quand bien même nos chers enfants auraient de bonnes idées, les adultes en tiennent-ils compte ?
Prenons l'exemple du VIe parlement des enfants (mai 1999). Dans l'exposé des motifs de
la «proposition de loi» N° 2, les écoliers font d'abord part de récents faits
graves qui se sont produits dans leur classe de CM2 et dans un environnement proche : trois écoliers victimes de
racket ; fortes menaces contre un autre (pour lui voler son ballon de basket) ; le frère d'un autre qui se fait
fracturer le bras par des collégiens (pour avoir refusé le racket aux devoirs) ; une fille qui se fait frapper
par des adolescents. Que demandent alors les élèves de cette classe ? PLUS de sanctions et
de fermeté. Dans le détail :
Le droit pénal doit considérer le racket comme un délit.
Les écoles doivent travailler avec les services de police pour qu'une prévention du
racket soit faite chaque année dans les classes de CM2 et cela en présence des parents des élèves.
Les élèves des classes de CM2 doivent informer à leur tour les plus jeunes de l'école (...).
Question : les a-t-on entendus ? Réponse : NON. C'est dire toute l'utilité de les réunir en grande pompe...
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J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006