Etat de droit
L'étude du 21 février 2008
Sur la réforme de l'école primaire et de l'Education nationale en général
On se contentera de donner un aperçu de quelques-unes des « réformes-miracles » perpétuellement ressassées depuis un quart de siècle, qui continuent encore d'être proclamées comme on proclamerait la venue d'un nouveau messie. Problème : ces « bonnes idées » de réforme de l'école primaire (ou de l'Éducation nationale dans une vision globale) non seulement ne résolvent rien ou pas grand-chose des problèmes de l'école, mais même, entretiennent les difficultés de cette école. Etat de droit s'attache ici à l'expliquer.
Qu'il s'agisse d'augmenter les effectifs, les salaires ou autres dotations quelles qu'elles soient, ce premier mythe
de la réforme est celui qui revient le plus souvent, notamment dans la bouche des syndicats de l'Education nationale
dont c'est le leitmotiv immuable. Au sein de cette première catégorie, on distinguera deux affirmations
plus précises, qui reviennent assez fréquemment :
— l'école irait mieux si l'on payait mieux les professeurs, surtout ceux qui débutent ;
— il faut dégager plus de moyens (dépenser toujours plus) pour les élèves les plus en difficulté.
C'est oublier que l'argent coule à flot depuis fort longtemps et que dans le même temps les problèmes de l'école
se sont accumulés : tous les chiffres et rapports officiels indiquent une forte croissance du nombre de professeurs par
rapport au nombre d'élèves depuis plusieurs décennies ; le statut de professeur des écoles, plus favorable que celui
d'instituteur, a déjà été créé ; les structures ou classes à très faible effectif d'élèves se sont multipliées ; les
aides diverses et variées se sont accumulées, par exemple en ZEP (Zone d'Education Prioritaire) pour emmener les
élèves au théâtre ou même leur payer une semaine de sports d'hiver... Et pour quels résultats ? Le Haut Conseil
de l'Education a rendu sa copie en 2007 : d'après lui, 40 % des élèves quittent l'école primaire
avec de graves lacunes.
Concernant maintenant l'assertion selon laquelle les jeunes professeurs ne seraient pas bien payés, il serait sans doute
plus juste de dire : ils ne sont pas très bien payés par rapport à leurs difficiles conditions de
travail (les écoles les plus dures). Le problème n'est donc pas tant la paye (d'autant que les échelons augmentent vite en
début de carrière) que les conditions de travail à l'école. Si l'on voulait vraiment réformer l'école avec quelques
chances que cette réforme soit utile, il faudrait commencer par restituer
aux professionnels de l'école une autorité institutionnelle suffisante, thèse largement défendue par
Etat de droit.
Quant à l'idée récurrente de « mettre le paquet » (au sens propre : un gros tas de billets...) pour
les élèves les plus en difficulté, il suffit de connaître un peu l'Education nationale pour savoir que l'argent
est surtout dépensé pour des élèves « en difficulté comportementale » (appellation pudique) plutôt
que pour les élèves en difficulté d'apprentissage. Il s'agit-là d'une conséquence directe du principe de
l'école obligatoire et de l'idéologie anti-sanction qui transpire de toute part dans les
Bulletins Officiels de l'Education Nationale
des années 1985 à 2000. Et à force de croire que tous les élèves sont fait pour l'école, à force de faire croire
que l'on réforme cette école alors que les mêmes principes ultra-rigides ne souffrent toujours aucune exception,
nous sommes en passe de dégoûter tous les élèves de l'école...
La « réforme », ici, consiste à réclamer une pédagogie toujours plus individualisée : nous sommes dans la
logique du cours particulier mais avec 30 élèves... L'idéal, selon certains, serait que le professeur donne un exercice
précisément adapté à chaque élève, à son niveau, pour ne pas dire à sa seule volonté.
Cette théorie paraît belle à ceux qui ne l'ont jamais pratiquée, mais elle n'est pas extensible à l'infini.
Certes, le bon professeur fait tout son possible pour essayer de faire réussir chaque élève. Il aura souvent
le réflexe d'aider un peu plus tel élève en difficulté et de prévoir un exercice supplémentaire pour l'élève
en avance. Mais dans des classes où les élèves ont des niveaux extrêmement différents, le professeur ne peut
pas se subdiviser par 30. Et si l'on veut alors complètement mettre en œuvre la Géniale Solution venue
d'En Haut — la formidable réforme de l'école en promotion toute l'année — on retombe dans le premier
mythe : la nécessité d'un apport supplémentaire d'adultes, donc un coût supplémentaire pour la collectivité...
Du reste, ériger cette différenciation en idéal, c'est l'assurance du nivellement par le bas, les élèves
n'étant jamais contraints à rien ; demander au professeur de s'adapter toujours plus à l'élève, mais
jamais à l'élève de s'adapter aux objectifs et règles de l'école, c'est continuer de s'enfoncer dans
une utopique impasse jonchée d'argent jeté par les fenêtres.
La vraie réforme de l'école, en l'occurrence, ce serait celle-là : exiger un petit effort d'adaptation de chaque élève !
Car depuis 20 ans, on ne réforme pas l'école : on la déforme. Comme le vocabulaire.
Il faut programmer plus de sport, enlever un peu de ceci, rajouter un peu de cela, changer les horaires
pour la énième fois, faire chanter la Marseillaise debout, etc. etc.
Mieux adapter les programmes de l'Education nationale aux objectifs de l'école ne constituerait pas un leurre SI
la question de la véritable autorité (contraignante) et des réelles sanctions (faciles à mettre en
œuvre et dissuasives pour les plus lourdes) était enfin sérieusement traitée. Etat de droit
ne s'opposerait pas à une réforme de l'école visant à renforcer l'enseignement des matières les plus fondamentales.
Mais on aura beau concocter les meilleurs programmes qui soient, les triturer dans tous les sens, ils resteront
lettre morte dans nombre d'écoles primaires et d'établissements scolaires tant que l'on n'aura pas restitué aux
professeurs et à tous les professionnels de l'école les attributs (institutionnels) de l'autorité. Au moins un
minimum. Or, les actuelles idées de réforme de l'école n'incluent presque jamais la question des sanctions...
C'est là que se situe le nœud du problème : beaucoup d'acteurs de l'éducation en France évoquent la nécessité d'en
revenir à certaines exigences à l'école MAIS rejettent absolument toute idée de contrainte envers les
élèves... Ils ne répondent jamais à la question : que faire, concrètement, lorsqu'un élève refuse
la plupart des exigences du professeur ? (Ou quand un professionnel de l'école commet des fautes flagrantes et répétées
sans circonstances atténuantes particulières ?) Que faire encore quand la meilleure méthode du monde ne parvient jamais
aux oreilles de certains élèves, trop occupés à s'invectiver les uns les autres ? C'est précisément à ce type de
questions que répondent les propositions de
réforme de l'école primaire et de l'Éducation nationale d'Etat de droit.
Il faut recenser davantage les lacunes, les violences... sans jamais en tirer aucune conséquence !
Quand on ne sait pas résoudre, on recense, on évalue, on discute, on crée une nouvelle commission, un nouveau débat, on
fixe un nouvel objectif (inatteignable), on invente de nouvelles grilles d'évaluation, de nouveaux sigles et formalités...
On parle de réforme pour parler de réforme et calmer le bon peuple. Mais pendant ce temps-là, sur le terrain, dans les
classes et cours de récréation, la situation continue de se détériorer. Notre école n'en finit pas de s'enfoncer
pendant que pontes et savants continuent de palabrer, satisfaits d'eux-mêmes et de leurs indemnités.
Pour ce qui est de l'évaluation nationale de l'élève, nous ne cessons de dépenser des crédits pour vérifier encore et
toujours ce que tout le monde sait déjà. Et dans quel but ? Dans quel esprit de réforme ? Pour apporter quoi à notre
école ? Uniquement pour nous le répéter ! Vérifier chaque année à quel point l'école va mal est devenu LA fin
en soi. Et d'ailleurs, même cela, nous n'y arrivons pas bien : d'un côté, on trouvera
toujours des adeptes de l'anti-autorité — de l'idéologie anti-sanction — estimer que l'école d'aujourd'hui
ne se porte pas si mal ; d'autre part, les
évaluations nationales surestiment la réalité.
En fait, que se passe-t-il quand on a établi pour la vingtième fois qu'un élève n'est pas au niveau ? On le fait
passer dans la classe supérieure ! Voilà à quoi aboutissent nos grandes idées de réforme de l'école primaire et
de l'Education nationale ! Voilà le formidable progrès qu'offre l'évaluation à l'Education nationale...
Que se passe-t-il encore lorsqu'un élève est signalé pendant toute sa scolarité pour violences ? On se donne
rendez-vous l'année prochaine pour ne pas manquer de le signaler à nouveau ! Que se passe-t-il enfin lorsqu'un
professeur en fin de carrière est jugé négativement par son inspecteur ? Il n'a que 18/20. (Au lieu de 20/20 pour
le bon professeur.) Quand « réforme de l'école » — de l'école primaire ou de l'Education nationale
dans son ensemble — rime avec parole et parole et parole...
C'est la parade fréquemment avancée pour pallier l'échec scolaire et les incivilités à l'école. La «
réforme de l'école » prend ici l'une de ses tournures les plus routinières. Or, dans les IUFM, certains professeurs
(des futurs professeurs) passent leur temps à enseigner que punir un élève aggrave la violence scolaire, message
que nos contemporaines réformes de l'école primaire ou de
l'Education nationale auront bien repris... Ainsi, améliorer la formation des professeurs
ET punir le moins possible les élèves constituent deux injonctions fréquentes dans toute
réforme de l'école en France depuis 20 ans. Conclusion : nos professeurs doivent donc apprendre
à « encaisser » sans broncher les comportements les plus irrespectueux...
(Décryptage des explications du Ministère de l'Education Nationale.)
Pour certains responsables de l'Education nationale en France, LA solution au problème de la violence à l'école est ainsi
de transformer le professeur en punching-ball. Sacrée réforme ! Bien sûr, cette joyeuse trouvaille est enrobée
de savantes confusions très à la mode, comme celles qui dénaturent la notion d'autorité à l'école... Mais tout cela ne profite guère à la transmission des connaissances,
qui ne peut s'exonérer d'un minimum de respect des règles et d'autrui, paramètre sur lequel le professeur pourrait peser
si l'on voulait bien lui restituer UN PEU de son autorité de professeur,
véritable réforme de l'école — ou plutôt : contre-réforme de l'école dans le contexte
actuel... — qui attend toujours l'adhésion du petit monde de l'éducation en France.
Il y a pourtant un vrai problème d'efficacité qui se pose (mais que ce 5ème mythe de la
réforme de l'école ne résout nullement) : moins les professeurs peuvent se faire respecter, moins ils sont efficaces
et plus rares sont les nouveaux candidats, donc moins bons les résultats scolaires, moins bon le niveau des futurs
professeurs et toujours moins grande l'efficacité de l'école. Quand la réforme de l'école tant attendue se
transforme en cercle vicieux...
Donner plus de pouvoir au chef d'établissement (ou au directeur d'école) n'est pas en soi une mauvaise
idée mais pourquoi la redistribution du pouvoir à l'école n'est-elle toujours envisagée qu'au détriment des
professeurs ? Ces derniers n'ont déjà pratiquement plus aucun pouvoir ! Ils ne peuvent presque plus
sanctionner les élèves (surtout à l'école primaire), ne peuvent parfois guère s'opposer à la volonté des
parents d'élèves, doivent obéir aux consignes hiérarchiques, sont les premiers visés lors des bilans...
Et surtout : quelles conséquences a-t-on envisagées en cas de chef d'établissement ou directeur d'école
défaillant si seul son pouvoir est décuplé ? Où sont les garde-fous ?
Pour Etat de droit, donner plus de pouvoir au directeur d'école ou chef d'établissement constituerait
une réforme utile à condition que cette augmentation de pouvoir accompagne celle des professeurs et ne soit
pas spécifiquement dirigée contre ces derniers mais plutôt dans le but de faire mieux respecter les règles de vie
scolaire dans chaque école, collège ou lycée. [On pourra ici se reporter aux propositions
E2,
E3,
E4 et
E5, ainsi qu'aux arguments visant
à ne pas laisser tout le pouvoir au seul directeur d'école
ou chef d'établissement.]
Tout d'abord, pour que chacun puisse un jour enseigner dans « l'école de ses rêves », il faut
bien que d'autres aillent au charbon... Or, peut-on imposer aux actuels professeurs en fin de carrière d'aller dans
les écoles les plus dures ? NON. Pour une simple raison : lorsqu'ils ont débuté, ils y ont déjà eu droit ! (Même si
les écoles difficiles d'alors n'étaient pas les mêmes — et pas aussi nombreuses — qu'aujourd'hui.)
Relancer périodiquement cette recette éculée, c'est faire semblant de méconnaître totalement le système
du fonctionnariat, basé sur des évolutions de carrière qui vous font gagner des points année après année,
notamment pour les mutations. On peut critiquer ce type de système mais au moins, sur ce point, il est
cohérent et vise une certaine justice entre fonctionnaires : chacun doit avoir fait ses classes...
On ne peut donc qu'inciter (financièrement) les professeurs expérimentés à y retourner...
Ce qui pose à nouveau le problème du financement publique (retour au 1er
mythe) et qui est surtout une solution très partielle : peu de professeurs en fin de carrière
abandonneront un relatif confort durement acquis pour une petite prime d'encouragement.
Du reste, il n'est même pas sûr qu'un professeur avec 20 ou 30 années d'expérience s'en sorte beaucoup mieux que ses
jeunes collègues, face à des élèves qui n'auront guère plus de considération pour lui que pour ses pairs ! Surtout
si son expérience, bien que longue, ait été essentiellement acquise avec des classes faciles... Et n'oublions pas
un dernier paramètre : quand il y a de l'expérience, il peut aussi y avoir une certaine usure.
Face à l'ampleur des problèmes de l'école d'aujourd'hui, on est donc là, typiquement, dans le batifolage verbal.
Autre solution-miracle qui réapparaît de temps en temps quand on n'a rien d'autre à dire...
S'il suffisait de travailler toujours plus en équipe pour que les élèves indisciplinés et déstructurés se mettent à
écouter sagement leurs professeurs, cela se saurait ! Bien entendu, les enseignants parlent déjà souvent entre eux,
que ce soit pour des réunions imposées ou parce qu'ils l'ont décidé eux-mêmes (comme des grands !) par exemple en
vue de monter un projet commun ou résoudre un problème ponctuel. Mais il y a des professeurs qui travaillent tout
seul très bien et des réunions imposées qui ne servent à rien. La « réunionite » est d'ailleurs souvent
dénoncée par les enseignants. Ce n'est donc pas en l'intensifiant au maximum qu'on obtiendra les meilleurs résultats.
On pourrait continuer comme cela pendant longtemps,
à égrener les idées les plus inutiles ou les plus farfelues, dont l'actualité est très riche, mais l'on
se dispensera d'être exhaustif.
Pour essayer simplement d'y voir plus clair, posons-nous la question suivante : quel est
le point commun entre toutes ces fausses bonnes idées de réforme de l'école ? Réponse : l'élève ne doit jamais
être contraint (hormis à être maintenu coûte que coûte dans le système, même s'il n'y
fait plus rien depuis longtemps).
A vrai dire, jusqu'aux plus farouches tenants d'un retour aux exigences, on se garde bien de parler de contraintes
ou de punitions. On reste dans le mythe. On croit pouvoir résoudre les problèmes de l'école en refusant absolument
l'idée qu'un élève (ou qu'un professionnel de l'école) puisse, à un moment ou à un autre, être contraint
de respecter les règles du système... ou d'en sortir.
Si la sécurité routière fonctionnait comme l'Education nationale, à chaque fois qu'un automobiliste dépasserait les
150 km/h en ville, on se contenterait de dire : c'est pas bien ! vilain garçon ! Et on lui redonnerait
immédiatement son permis de conduire, sans PV, comme si de rien n'était.
Etat de droit rappelle que ses propositions de
réforme de l'Éducation nationale — depuis l'école primaire jusqu'aux lycées — sont
axées sur les bienfaits de la sanction à l'école, sanction proportionnée, encadrée, avec des garde-fous, mais
véritable sanction : ponctuellement contraignante et désagréable. Pour que, globalement,
cette école redevienne au contraire un lieu d'étude apaisé. (Le paradoxe n'est qu'apparent.) Et par voie
de conséquence : plus économique et performant.
.......................................................
J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006