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réforme de l'école primaire et de l'éducation nationale

L'étude du 10 juillet 2008

L'autorité du professeur : histoire d'un rapt

Sur le fait qu'en lui ôtant l'autorité institutionnelle on lui ravit l'essentiel de son autorité

En lisant Les Misérables de Victor Hugo, par le plus grand des hasards nous tombons sur cette phrase : Turenne était adoré de ses soldats parce qu'il tolérait le pillage ; le mal permis fait partie de la bonté ; Turenne était si bon qu'il a laissé mettre à feu et à sang le Palatinat. Dans la France d'aujourd'hui, disons-le sans ambages, l'Education nationale pourrait s'appeler Turenne ; non pas pour la bravoure de ce dernier mais pour son laisser-faire en cas de victoire ; à ceci près que notre Education nationale n'a pas besoin de victoire pour laisser faire. Et n'est adorée par personne : les syndicats protestent, les élèves rouspètent, les familles s'inquiètent, les professeurs se désespèrent.
  Ce côté obscur de la tolérance a pour vrais noms : complaisance, démagogie, férocité... Avant Victor Hugo, Saint Augustin le disait déjà : On peut être cruel en pardonnant et miséricordieux en punissant. Et avant Saint Augustin, Platon : Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, (...) lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois (...), c'est là (...) le début de la tyrannie.
  Notre Education nationale ne connaît donc ni Platon ni Hugo ni Augustin ni tant d'autres qui prônèrent à travers les siècles la nécessité de l'autorité institutionnelle ou autorité publique, de son fonctionnement hiérarchique, de la discipline et de la sévérité mesurées qui doivent aller avec. Mais l'Education nationale pense-t-elle encore ? Depuis au moins vingt ans, on a laissé à sa tête des gens qui ont fait de la lutte contre l'autorité le combat de leur vie. Certaines mauvaises langues disent que de là provient l'expression : perdre la tête.
  Notons juste l'absurdité qu'il y a à décréter que l'autorité institutionnelle du professeur est nuisible à l'enfant : l'autorité, comme toute chose, n'est ni bonne ni mauvaise ! Elle est simplement nécessaire à l'accomplissement de certains objectifs, dès lors qu'elle est bien employée. A cet égard, la démocratie, les lois et règlements peuvent l'y aider : par l'équilibre et le contrôle mutuel des pouvoirs. Ainsi que l'éducation : par la morale et la bienveillance. Maîtrise de l'Etat et maîtrise de soi, voilà simplement ce qu'il faut pour garantir une autorité de qualité.

 

Historique du problème : pour bien abattre l'autorité institutionnelle à l'école — le pouvoir officiellement dévolu aux professionnels de l'école — des universitaires en manque de créativité décidèrent dans la vieillesse du XXème siècle que nos futurs professeurs de France et de Navarre (et d'Occident) devraient désormais se contenter de ce qu'ils appelèrent l'autorité du savoir et l'autorité naturelle, seules Bonnes Autorités annoncèrent-ils. Avant que cela ne fut clair pour eux-mêmes, ils en persuadèrent les hauts fonctionnaires de l'Education nationale, qui réussirent à leur tour — sans grand mal — à en convaincre les Décideurs.
  Avec son sens de la formule, De Gaulle disait : des chercheurs qui cherchent, on en trouve ; mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche. Peut-être exagérait-il car on trouve aussi des chercheurs qui trouvent, qui trouvent de tout : pour l'école, par exemple, ce fut beaucoup de plomb (pris pour de l'or) et beaucoup d'argent. On ne sait plus où est passé l'argent mais le plomb est resté.
  Au fur et à mesure que l'autorité institutionnelle était méthodiquement boutée hors de l'école et hors de tout, nos savants chercheurs en « sciences de l'éducation », en autorité certifiée, en sociologie, démagogie, psychologie, néologismes — en tout ce qui contient -ologie — avertirent : développons l'autorité du savoir et l'autorité naturelle du professeur ! Ce que les Décideurs traduisirent ainsi : améliorons la formation du professeur ! (Qui doit s'adapter aux difficultés de son temps : à l'élève d'abord récalcitrant, puis irrespectueux, voire dangereux.) Il est donc temps, à présent, d'éclaircir un peu la nature de chaque sorte d'autorité.

 

Par autorité institutionnelle on entendra : l'autorité ou pouvoir que donne le droit ; cette autorité-là, officielle, concerne les fonctionnaires et le personnel politique, mais également toute personne ayant sur d'autres un pouvoir (de pression, de sanction) d'ordre professionnel ou contractuel. Par autorité naturelle on suppose qu'il faut d'abord entendre ce qui est inné ou en partie inné : le tempérament, les aspects corporels (la stature physique, le son de la voix, l'expression du visage, la gestuelle), éventuellement l'intelligence, bref tout ce qui fait que certains individus sont portés à être dominants ; ce à quoi on ajoutera, quand elles ont pu être acquises, certaines valeurs morales qui transcendent le tempérament d'origine ; enfin, l'apparence vestimentaire peut avoir son rôle à jouer. Quant à l'autorité du savoir, on imagine que ceux qui ont inventé cette formule ont voulu dire : le seul fait de savoir ce que votre interlocuteur ignore vous procure une certaine autorité sur lui.
  Commençons par l'autorité institutionnelle. Puisque l'autorité en général est avant tout le pouvoir de se faire obéir, on comprendra que l'autorité institutionnelle y tient une place centrale : le professeur, le juge, le policier, l'éducateur, le militaire — mais aussi le curé vis-à-vis de l'évêque, l'employé vis-à-vis de ses chefs ou du patron... — sont sous l'autorité de leurs supérieurs hiérarchiques, qui ont le pouvoir de s'en faire obéir par le biais d'un pouvoir de sanction très grand (puisqu'il peut aller jusqu'à la révocation du fonctionnaire ou le licenciement du salarié).
  L'autorité naturelle peut-elle se mesurer à l'autorité institutionnelle ? Le mois prochain, en détails, nous verrons que NON : Victor Hugo soi-même le démontre magistralement avec le personnage de Jean Valjean qui, bien qu'ayant une autorité naturelle indéniable, perd l'essentiel de son autorité globale lorsqu'il perd son autorité institutionnelle. C'est dire que la seule autorité naturelle ne pèse vraiment pas lourd en face de l'autorité institutionnelle. Rappelons juste, pour revenir au présent, une conséquence fâcheuse et paradoxale — souvent ignorée — du manque d'autorité institutionnelle : cette carence incite les professionnels de l'école à se forger eux-mêmes leur propre pouvoir ! Et si cela ne leur est pas possible dans bien des cas, quand ça l'est cela peut conduire à l'abus de pouvoir. [D'où l'intérêt de fixer un cadre.] Mais il s'agit alors moins d'autorité naturelle que d'usurpation d'autorité institutionnelle.
  Venons-en à l'autorité du savoir. Elle apparaît bien vite aléatoire... Si je connais toutes les capitales du monde, en quoi cela me donne-t-il de l'autorité par rapport à qui ne les connaît pas ? Hormis dans un jeu pour gagner des millions, ce savoir ne m'apportera aucune autorité sur personne ! En revanche, si j'en sais suffisamment pour donner la bombe atomique à tout Etat qui la voudrait, je risque de disposer d'une grande autorité dans maints endroits du monde... Redisons-le : l'autorité procède essentiellement du pouvoir. C'est ce pouvoir qui rend valide (quand il est présent) ou invalide (quand il est absent) cette éventualité qu'est l'autorité du savoir.

A présent, mettons précisément cette fameuse autorité du savoir à l'épreuve de l'école primaire et secondaire. Un professeur, par définition, sait beaucoup plus de choses qu'un élève. Cela lui donne-t-il du pouvoir sur l'élève ? Directement non (mon professeur connaît par cœur la guerre de Cent Ans, et après ?), indirectement peut-être (son savoir lui a permis d'obtenir ce poste qui lui donne le pouvoir de me noter, de m'enquiquiner ou de m'intéresser). Mais si lors d'un contrôle l'autorité du professeur a bien tendance à se raffermir, les apparences sont trompeuses... Car voilà : ce calme avant la tempête n'est inspiré que par la notation prochaine de l'élève, vague reste d'autorité institutionnelle du professeur (plus que d'autorité du savoir), cette réminiscence étant d'ailleurs elle-même menacée. Il ne faut jamais croire qu'on a touché le fond.
  Certains, néanmoins, relèveront un type d'exception : tel professeur raconte si bien l'épopée d'Aliénor d'Aquitaine qu'on en deviendrait vite admirative, voire follement amoureuse — en plus il est beau — et qu'au final il possèderait « beaucoup d'autorité ». Sauf que... Pour le coup, parle-t-on plus d'autorité du savoir ou d'autorité naturelle ?
  Admettons maintenant ceci : les élèves font toujours la différence entre le professeur dévoué, qui à l'évidence travaille beaucoup pour eux, et le professeur qui fait le strict minimum ou même pas. Ce dernier aura sans doute plus de mal à se faire respecter. Il aura moins d'autorité. D'autant que s'il ne prépare vraiment pas grand-chose, les élèves vont au minimum chahuter. A l'inverse, le professeur consciencieux sera davantage apprécié, écouté, respecté par ses élèves. Il aura plus d'autorité. Tout cela est vrai. Mais dans quelle proportion ? Et là encore, s'agit-il plus d'autorité du savoir ou « d'autorité du dévouement » ?… Le professeur peu scrupuleux peut en savoir autant que le bon professeur ! Résumons le problème : dans l'hypothèse où nous avons affaire à un professeur qui fait son travail, son seul savoir suffira-t-il toujours à lui assurer une autorité satisfaisante à l'égard de ses élèves ?

 

Prenons donc un professeur très consciencieux ET dont le savoir ne fait aucun doute, par exemple un agrégé en mathématiques ou en français. MAIS ses élèves n'apprécient pas les mathématiques ou le français... Chose courante. Dans ce cas, le grand savoir et le grand dévouement de ce professeur lui donnent-ils automatiquement une autorité suffisante sur ses élèves ? Hélas non : pour peu que lesdits élèves n'aient guère été habitués à la contrainte — chose courante — notre brave et bon professeur pourra rencontrer de sérieux problèmes d'obéissance et d'autorité. A fortiori si ses élèves sont « difficiles ». On dira de nos jours que c'est au professeur d'intéresser ses élèves, que s'ils n'aiment pas sa matière il manque au moins de pédagogie... Mais ce professeur, voyez-vous, il est là, devant vous, il a déjà obtenu son agrégation, il a déjà été formé. Alors que fait-on ? On le reformate de fond en comble ? On envoie des stagiaires à sa place pendant quelques années ? Et tout ira mieux ? Soyons sérieux : on ne mettra pas au placard tous les professeurs de l'Education nationale qui, aux dires de leurs élèves, ne seraient pas assez intéressants ; on n'arrivera pas non plus à rendre palpitantes toutes les dictées du monde et toutes les formules mathématiques. En somme on aura bien du mal à prouver, au niveau de l'école primaire et du secondaire, la réalité intrinsèque de cette autorité du savoir. Les faits, l'actualité scolaire, ce que tout le monde voit chaque jour, c'est qu'en maints endroits de France, de Navarre, d'Occident, le savoir du professeur n'est pas une garantie d'autorité !
  D'ailleurs, ce n'est pas le pire des constats. Que signifie : développer l'autorité du savoir chez le professeur ? Que les anciens professeurs n'en avaient pas ? Qu'ils ne savaient rien ?! Que leur savoir ne leur donnait pas de pouvoir quand celui du professeur de demain lui en donnera ? On voit bien ici le traquenard intellectuel : sauf à considérer que les professeurs d'aujourd'hui en sauraient beaucoup plus et beaucoup mieux que nos anciens professeurs — ce que personne ne croira — on est obligé d'admettre que cette autorité du savoir ne sera pas plus grande demain qu'elle ne l'était hier ! Qu'on n'arrivera pas à la développer plus qu'avant ! Donc c'est une imposture, c'est un rapt : on a subtilisé au professeur son autorité institutionnelle sans rien pouvoir lui donner (qu'il n'ait déjà) en échange.

 

A ce stade du raisonnement, on s'en rend bien compte désormais : l'autorité institutionnelle est irremplaçable. Si on la retire, RIEN ne peut la compenser. Face à elle, autorité du savoir et autorité naturelle, même additionnées, ne font pas le poids ! Pour tout professeur, l'autorité institutionnelle est en fait le seul type d'autorité qui puisse lui assurer, quelle que soit sa force de caractère, une sorte de « Pouvoir Minimum Garanti » sur l'élève. Or, depuis le milieu des années 1980, ce SMIC de l'autorité lui a été sournoisement enlevé : par petites touches successives, ni vu ni connu, lentement mais sûrement... Pendant qu'on volait l'or, les syndicats ne pensèrent qu'à l'argent.
  En ces années 2000, le professeur de n'importe quelle périphérie urbaine doit donc se débrouiller seul, sans la loi, sans un pouvoir suffisant conféré par la nation, sans le soutien de sa hiérarchie. Le voilà qui doit quémander une autorité artificielle aux parents de ses élèves, qui doit s'inventer une autorité naturelle, s'essayer à grossir la voix, froncer des sourcils, tenter d'apitoyer, de charmer, de menacer... Mais menacer de quoi ? Il n'a plus de pouvoir en propre ! Dans le fond, il ressent que toutes ses petites trouvailles, ses vaines tentatives, ses astuces dérisoires ne lui donnent que du sursis, un court répit, bien du dépit.
  Cependant il appelle, il s'informe. On lui offre du sparadrap, des bandages, on lui dit de tenir bon. Il se crispe, il se protège, il cherche, voit du plomb, beaucoup de plomb, des traces d'argent aussi mais qui s'estompent. En fait, c'est de l'or qu'il veut : de l'or dans la prunelle de ses élèves, pauvres pupilles d'un Etat pléthorique mais impuissant. Puis, fatigué de n'en point trouver, il agrandit les siennes. Tel un capitaine sur son bateau échoué, il contemple le spectacle de la mutinerie. Il regarde ses élèves : ce sont des offenses. Il scrute l'écueil : y distingue des défenses. Vus de loin, nos textes officiels sont comme des icebergs. Ils ont une petite apparence et une grande réalité. C'est beau mais c'est dangereux. Si l'on n'y prend gare, on risque de s'échouer sur un mammouth pris dans la glace.

Alors, une fois pris à son tour, parce que l'iceberg ne mincit pas, parce que les défenses de la bête ressemblent à d'immenses cornes posées sur sa tête, parce que la lutte de tous contre tous devient trop inégale pour chacun, parce que le sauve-qui-peut général a remplacé le pousse-toi de là que je m'y mette, notre pâle capitaine se rebiffe. Il a sa dignité. Il ne « baisse pas les bras » comme il dit. Bientôt, muni de sa seule Autorité Naturelle, il harangue ses élèves, et d'un geste magnanime : troque le cessez-le-feu contre une volée de bonnes notes. Tel un faiseur de miracles, il trouve moyen de se faire bien voir. (Les hostilités reprendront sans lui.) Tel Turenne, il tolère le pillage, le pillage matériel et moral. A ceci près qu'avec Turenne c'était après la victoire.

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Accroître le pouvoir du professeur vis-à-vis des élèves (avec limites)
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