Etat de droit
L'étude du 28 novembre 2007
1) l'Or — Dans la catégorie BOEN (Bulletin Officiel de l'Education Nationale), le grand vainqueur est sans doute le catastrophique BO (Bulletin Officiel) du 13 juillet 2000 qui comprend notamment le décret 2000-620 du 5 juillet 2000 ainsi que la circulaire 2000-105 du 11 juillet 2000. Nous n'y revenons pas puisqu'il a déjà fait l'objet du tout premier édito d'Etat de droit : Les pires BO (1) : la Palme d'Or...
2) l'Argent — Dans ce classement, on ne s'étonnera guère
de trouver également en très bonne place (si l'on peut dire) la loi d'orientation du 10 juillet
1989 que le mirage des années Thélot n'aura nullement remis en cause. Cette loi portait déjà en elle les
dérives dont le BO du 13 juillet 2000 constitue en quelque sorte le summum. Ou plutôt le gouffre... Qui n'est
d'ailleurs pas sans rappeler le gouffre financier dans lequel s'enfonce notre pays un peu plus chaque jour et
auquel l'Education nationale n'est pas étrangère, loin s'en faut. [Nous en reparlerons.]
Résumons : la loi d'orientation du 10 juillet 1989 permit aux parents de participer en force à
TOUS les conseils. C'est peu de dire que leurs possibilités d'ingérence s'élargirent considérablement. Exemple : en
matière d'orientation. Avec treize ans de recul, Maurice T. Maschino va jusqu'à affirmer : comme le ministère
se garde bien de les associer [aux décisions importantes], le seul pouvoir qu'ils aient réellement est
un pouvoir de nuisance. (Quotidien Sud Ouest du 5 septembre 2002.)
De surcroît, cette même loi crée le conseil des délégués des élèves, qui permet à des lycéens de se réunir chaque
trimestre avec le chef d'établissement. En réunion extraordinaire, ils acquièrent même le pouvoir de convoquer ce
conseil et donc en quelque sorte... de convoquer le proviseur ! Alliance contre nature, forcée, pour débattre des questions
parmi les plus sensibles (règlement intérieur, travail scolaire, orientation, etc.). On notera qu'en revanche les
professeurs ne sont pas admis. On ne se contente pas de briser les distances, on les recrée en sens inverse... On
renverse tout simplement la hiérarchie : l'élève « au centre », le professeur à la périphérie !
Peut-être plus grave encore, en matière d'orientation et surtout de redoublement, cette loi du 10 juillet 1989
donne presque toujours le dernier mot aux parents, voire aux élèves eux-mêmes ! Au détriment bien sûr de l'avis
des professionnels de l'école... Parmi les « objectifs à atteindre », on trouve par exemple celui-ci :
réduire de moitié au moins le nombre de décisions d'orientation qui ne sont pas acceptées par les
élèves et les familles (rapport annexé à la loi). Et comme au bout du compte la sélection finit toujours
par se faire — l'accès aux grandes écoles n'est pas encore en libre service... — on ne fait donc,
la plupart du temps, que retarder et retarder encore les problèmes. Déni qui ne fait généralement que les
empirer, et pire encore : les propager (cf. ci-dessous).
Sur le redoublement, le texte devient presque explicite : Dans le cours d'un cycle, aucun redoublement ne peut
être imposé, les objectifs à atteindre étant fixés par cycle. Il ne s'agit pas d'interdire le redoublement mais
simplement de le limiter au maximum car, souvent vécu comme une sanction, il doit être réservé à des cas
bien particuliers d'échec scolaire. Lorsque d'importantes difficultés apparaissent, le prolongement d'un
an de la durée d'un cycle peut être proposé à l'élève et à sa famille. Dans ce cas, des mesures
pédagogiques spécifiques sont prises pour aider l'élève à surmonter ses difficultés.
Ainsi, pour une fois, les choses sont presque clairement dites ! D'habitude il faut davantage lire entre les lignes, et
même, recouper plusieurs textes pour arriver à déduire la réalité des injonctions (anti-sanction) institutionnelles...
Ici, il y aura bientôt près de vingt ans, on apprit donc que :
1) L'institution Education nationale a pour obsession officielle d'éviter toute contrainte
à l'élève ou sa famille.
2) L'idéologie anti-sanction sert d'argument pour justifier que la décision finale d'un redoublement
doive appartenir le plus souvent à l'élève ou sa famille, et donc être fréquemment négative malgré l'avis
des professionnels de l'école.
3) Et surtout, le cas de figure du (très) mauvais comportement de l'élève — qui ne
respecterait pas (ou jamais) les règles de vie à l'école — n'est tout bonnement... pas
envisagé ! Il faut croire qu'ils nous arrivent tous parfaitement bien éduqués ! Mais alors
pourquoi avoir
conservé le nom « Ministère de l'Education Nationale » ??
Le résultat de tout cela, des formidables objectifs affichés, quel est-il ? Conséquence directe : des
Kadi en classe.
Conséquences indirectes : des
enfants
malheureux à l'école de la violence. (On n'ose plus utiliser le mot élève.)
3) le Bronze — On attribuera la médaille de bronze à la
circulaire n° 91-124 du 6 juin 1991 qui entérine l'impuissance
du personnel de l'Education nationale, cette fois-ci au niveau de l'école primaire. Selon cette circulaire,
face à un grave problème d'indiscipline et/ou de violence du fait d'un élève,
et lorsque les premières tentatives de solution ont échoué (réprimandes, demandes de rencontre avec
les parents, «signalement»...), à quoi se
résume le pouvoir d'un directeur ou d'une directrice d'école ?
A l'école maternelle (voir TITRE 3 du texte), la directrice de l'école ne peut prendre qu'une
décision de retrait provisoire (...) après un entretien avec les parents et en accord avec l'inspecteur.
Autant dire que la directrice d'une école maternelle n'a aucun pouvoir en propre, ne peut rien décider par elle-même
puisque l'IEN — l'Inspecteur de l'Education Nationale, qui entre autres choses est chargé de la noter... — aura
bien sûr toujours le dernier mot.
A l'école élémentaire, c'est encore moins que cela : S'il apparaît, après une période
probatoire d'un mois, qu'aucune amélioration n'a pu être apportée au comportement de l'enfant, une décision de
changement d'école pourra être prise par l'inspecteur de l'éducation nationale, sur proposition du directeur et
après avis du conseil d'école. En somme, il ne s'agit même plus de pouvoir décider «en accord
avec l'inspecteur» mais seulement de lui proposer et pas avant
un mois que l'élève perturbateur aille perturber l'école d'à côté ! Ainsi, grâce à cette circulaire, face à un
grave problème de comportement, le plus grand «pouvoir» officiel dont dispose
un directeur d'école élémentaire est de finir par QUÉMANDER que l'on «refile le
bébé» à ses collègues d'en face... On savait que l'Education nationale aimait bien infantiliser
et ne pas faire de vagues ; on s'aperçoit qu'elle sait aussi diviser.
Ajoutons que dans les deux cas, c'est-à-dire à l'école primaire en général, il n'existe aucun pouvoir collectif
(qui émanerait par exemple d'une décision de tous
les instituteurs de l'école au sens de la Proposition E2) ne serait-ce que pour
pouvoir éventuellement renvoyer un élève quelques jours en cas d'irrespect grave, de violences gratuites, de
perturbations récurrentes... Et bien entendu, chaque professeur du primaire, individuellement, a encore moins
de pouvoir que sa directrice ou son directeur d'école. On touche là au plancher, en matière d'impuissance publique.
Cette circulaire 91-124 du 6 juin 1991 va d'ailleurs jusqu'à
interdire que l'on prive un élève de la totalité d'une récréation, et d'une façon générale, obéit déjà à cette
idéologie anti-punition ou anti-sanction qui continuera de se déployer avec force durant les années 1990, jusqu'au
BO du 13 juillet 2000 précité.
Or, la faiblesse institutionnelle devient générale : même l'IEN n'a qu'un pouvoir très limité à l'égard
d'un élève très perturbateur et de ses proches. On l'a vu, à l'école élémentaire, même en cas de situation très
préoccupante il ne pourrait que procéder à un simple changement d'école, et encore ! Après toute une procédure, après
avoir consulté la famille sur le choix de la nouvelle école... (Famille qui peut ensuite faire
appel...) C'est-à-dire qu'on ne fait que déplacer le problème. C'est donc très exceptionnellement qu'un
IEN prendra ce type de décision. Dans la pratique, ceux qui quittent une école pour cause de violences sont
bien plus souvent des élèves fragiles ou victimes que leurs agresseurs. Ce sont les premiers qui sont punis
à la place des seconds, pour ne pas l'être encore plus s'ils restent. A condition d'ailleurs que leurs
parents aient la possibilité de partir. Pour les autres, tant que ce type de texte restera en vigueur,
il n'y aura guère d'autre choix que la résignation...
Résignation à subir une école sans autorité. Résignation à voir que l'Education nationale n'offre aucune solution.
Résignation à voir la République se déliter au fur et à mesure. Résignation à constater que les instances dirigeantes
de cette Education nationale et le petit monde très clos de l'éducation en France s'arc-boutent derrière l'idée que
la simple punition ou la vraie sanction ne doivent SURTOUT PAS faire partie du processus éducatif car elles seraient
forcément inopérantes, détestables, d'un autre temps... Mais en attendant, le temps d'avant — celui des professeurs
qui POUVAIENT se faire respecter parce qu'ils avaient un peu de POUVOIR pour agir voire sanctionner — était-il à ce
point horrible ? Et notre temps de 2007 — celui des professeurs insultés, des élèves qui se rudoient régulièrement
entre eux, des voitures brûlées — est-il tellement mieux qu'auparavant ? Ce que décrivent les Anciens de certaines
banlieues, c'est que ces dernières étaient très agréables il y a vingt ans mais invivables aujourd'hui.
Avec cette circulaire du 6 juin 1991, il devient donc presque impossible de renvoyer, même
temporairement, un élève d'une école primaire. Quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse. (Ou ne fasse pas...) Même lorsque
sa seule présence, éventuellement accentuée par la pression de ses proches, génère de graves dysfonctionnements au
sein de l'école. Cette école, Notre école, que nous voulions républicaine, devient alors pour les apprentis caïds
une sorte de rampe de lancement, de galop d'essai, d'entrainement à la «loi»
du plus fort, avant de s'attaquer au quartier tout entier.
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J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006