Etat de droit
L'étude de novembre 2008 / mars 2009
Les « arguments » les plus utilisés pour défendre l'idéologie anti-sanction à l'école
Et dans ce cas-là, à quoi bon demander plus de pouvoir institutionnel ? Il est vrai que ce dépassement des limites
autorisées est régulièrement pratiqué par les instituteurs ou professeurs des écoles primaires. Par nécessité : quand on
a si peu de pouvoir, il est difficile de ne pas chercher à en avoir un peu plus, d'une manière ou d'une autre... Notons
déjà que cet « argument » contredit cruellement le précédent ! Cerise sur le gâteau (des contradictions) :
ce sont assez souvent les mêmes qui utilisent tour à tour chacun de ces deux arguments qui s'opposent.
Mais venons-en aux conséquences auxquelles conduit cet argument-ci, si l'on peut parler d'« argument » :
1) C'est d'abord la preuve que nous ne sommes plus dans un
Etat de droit.
2) C'est accepter que les professeurs enfreignent les règles, alors qu'ils sont censés servir
de modèle aux élèves...
3) C'est admettre qu'une certaine forme d'arbitraire se développe, que le
clientélisme s'enracine.
4) C'est prendre le risque de l'abus de pouvoir, du
pouvoir personnel qui « dérape »
au détriment des élèves.
5) C'est risquer soi-même, en tant que professeur, d'être mis en accusation y compris devant la Justice.
En résumé, se résigner à devoir soi-même dépasser les limites autorisées, c'est accepter d'apparaître tôt ou tard
mal fondé à sévir aux yeux des élèves et des parents d'élèves, c'est tenter d'asseoir son autorité de professeur
sur du sable mouvant, à la seule force du poignet, c'est augmenter la probabilité que certains professeurs en
viennent à être injustes ou au contraire excessivement dénoncés.
D'une certaine façon, avoir fait chuter le pouvoir institutionnel à l'école comme nous l'avons fait depuis plus de vingt
ans, c'est avoir produit une dissociation profonde entre légalité et légitimité. [Par légalité,
on entendra ici : ce que le professeur a le droit de faire ; et par légitimité : ce qu'il serait juste de faire,
d'après lui.] Et cela est grave : s'il choisit la « légalité », qui est en fait ici plus d'ordre réglementaire
que législatif, notre professeur des écoles ou directeur d'école ne pourra empêcher — dans toutes les écoles où la
violence scolaire s'est banalisée — que de nombreuses situations illégitimes se produisent ; s'il privilégie plutôt
la voie de la « légitimité » (à ses yeux, subjectivement), notre instituteur ou professeur des écoles ou
directeur d'école (ou professeur de collège) devra se mettre régulièrement dans l'irrégularité.
C'est-à-dire que nous plaçons le professeur d'aujourd'hui — d'abord au niveau des écoles primaires difficiles, puis
au niveau des collèges et lycées dits « sensibles » — dans une alternative où il est sûr de ressortir
perdant d'une façon ou d'une autre !
En fragilisant ainsi l'autorité des maîtres, puis de tous les professeurs, c'est l'ensemble du système «
Education nationale » que nous avons miné. Tout en découle : les professeurs de collège voient alors défiler
devant eux une foultitude d'enfants qui abhorrent toute contrainte, des « élèves de 6e
» dont certains n'ont pas le niveau du CM1, toute une jeunesse désabusée que l'école primaire, loin d'avoir
sociabilisée, a laissée grandir dans la violence et l'insécurité. Redisons-le : si les difficultés du collège en
France trouvent l'essentiel de leur source à l'école primaire, les enseignants du primaire ne
sont pas en cause dans cette analyse ; c'est leur impuissance institutionnelle que
le site Etat de droit mois après mois pointe du doigt,
propositions de réforme de l'éducation nationale
à l'appui.
Question : comment peut-on se satisfaire d'un système aussi bancal, avec autant de risques inutilement pris
pour les élèves comme pour les professeurs ? Face à cette faiblesse du pouvoir institutionnel à l'école,
plutôt que de se résigner à en chaparder lui-même clandestinement, ne vaudrait-il pas mieux que le
professeur
d'aujourd'hui demande officiellement plus de pouvoir ? Ne serait-il pas temps de mettre fin à ce gâchis humain,
économique et social ?
2006-2009 © Etat de droit / Jean-Yves Willmann