Etat de droit
L'étude de novembre 2008 / mars 2009
Les « arguments » les plus utilisés pour défendre l'idéologie anti-sanction à l'école
En somme, la sanction en ferait un enfant trop frustré, la sanction en ferait une « machine » qui
obéit trop bien, mettrait notre enfant dans une situation psychologique très négative d'où il ressortira trop inhibé.
La sanction va le « brimer », serait très mauvaise pour le développement de sa confiance en lui. Etc. etc.
Ici, il faut rappeler rapidement le critère d'intensité :
tout ce qui précède serait parfaitement vrai si l'on infligeait à un enfant une série de sanctions disproportionnées,
injustes, sans jamais aucune explication, ni aucune affection ou aucun amour par ailleurs, sans aucun encouragement,
sans aucune récompense, avec des exigences inadaptées à l'âge de l'enfant, dans le cadre d'une discipline très stricte
qui cadenasse tout espace de liberté... Alors oui, la sanction devient hautement préjudiciable ! Mais ce n'est pas une
raison pour accuser le principe de sanction ! Ce qui pose problème, ici, ce n'est pas qu'il y ait des sanctions, c'est
l'excès, les excès, le manque d'amour, l'intention de nuire. Comme toujours, il faut se méfier des généralités trop
simples ou définitives.
Les porteurs de ce type d'argument éludent ainsi la question de la sanction au lieu de chercher à
l'appréhender sereinement et à comprendre sa fonction. Voilà le problème. Il ne leur viendrait donc pas à l'esprit que
l'absence de sanction puisse elle aussi générer des malheurs. En fait, quelles différences entre l'excès de sanction et
l'absence de sanction ? L'excès de sanction peut causer des malheurs individuels ou collectifs : individuels s'il s'agit
d'un enfant battu et mal-aimé ; collectifs s'il s'agit d'un peuple opprimé. Tandis que l'absence de
sanction crée presque toujours des malheurs collectifs. Pourquoi ? Parce que des êtres jamais sanctionnés empiètent
inévitablement sur les libertés et droits d'autrui, n'acquièrent aucun maîtrise d'eux-mêmes, et ne réagissent plus que
par la force brute. Avant d'en devenir eux-mêmes la cible...
Alors voilà : entre la peste et le choléra, Etat de droit ne choisit ni l'une ni l'autre
et préfère le juste milieu, le bon équilibre, la ferme modération.
On l'a bien oublié, et pour cause, mais comme le disait déjà Mara Goyet dans
Collèges de France, l'établissement d'une bonne discipline permet souvent les grandes explosions de joie, permet
au professeur de faire rire ses élèves en « se lâchant » de temps en temps (pitreries au tableau) car il sait
qu'il pourra les « reprendre » sans trop de difficultés. Celui qui vous parle l'a plusieurs fois expérimenté
et relevé : c'est avec les classes les plus disciplinées que l'on s'amuse le plus, c'est en sévissant
assez vite — quand on le peut — qu'on instaure une bonne ambiance ! (Si tant est que l'on soit un
professeur qui aime bien rire avec ses élèves ; mais on en trouve, croyez-le !)
Prôner un minimum de discipline n'est donc pas le signe d'une adoration de l'Ordre au sens strict et radical.
Tout est une question de mesure, de dosage, d'intensité. Instaurer suffisamment de discipline au départ, sans
excès dans un sens ni dans un autre, ne rend pas figé ou déprimant mais permet au contraire un fonctionnement
harmonieux de la classe : des phases de détente, des petites traditions, des phases studieuses, des phases de
relâchement et de divertissement. L'important est qu'il y ait une phase studieuse conséquente à chaque séquence
(école primaire) ou chaque heure (établissements secondaires). Or, seule l'instauration d'une
discipline suffisante permet de garantir l'existence de la phase studieuse. Et seule l'existence de cette
phase studieuse donne une vraie satisfaction aux élèves car ils ont bien conscience d'avoir été capables
de fournir l'effort qu'on attendait d'eux : ils en tirent fierté et goûtent avec d'autant plus de plaisir la phase
de relâchement qui suit (puisqu'ils peuvent à juste titre estimer qu'ils l'ont bien méritée). Sans compter que c'est
aussi, bien sûr, ce qui fait progresser leur niveau scolaire, ce qui les élève (d'où le mot élève...), ce qui
les prépare à leur vie future et au rôle qu'ils auront à jouer dans la société.
Et comment fait-on pour instaurer ce niveau optimal
(et non pas maximal) de discipline ? En voilà encore une, de question à laquelle bien des « experts » en
éducation ne répondent jamais. Leurs efforts sont plutôt concentrés vers la création d'un verbiage qu'ils seront les
seuls à pouvoir utiliser. D'où leur grande supériorité sur les autres... Mais dès qu'il s'agit de répondre à des
questions pratiques et précises, il n'y a plus personne !
Alors comment fait-on, justement, pour établir suffisamment de discipline avec des élèves
qui n'ont été jusqu'alors que très peu habitués à la contrainte ? Eh bien, si l'on s'en tient aux
textes actuels, c'est à peu près impossible !
D'où les résultats extrêmement décevants d'une
Education nationale dont le budget de fonctionnement a pourtant largement augmenté depuis les années 1990.
Bien entendu, il sera toujours difficile pour des professeurs en fonction de reconnaître qu'ils « ne tiennent
pas bien leur classe » parce qu'il y a dans ce type d'expression toute la charge culpabilisante dont
ils font régulièrement l'objet. Au lieu de dire que le niveau baisse à cause de textes ineptes, on dit :
le niveau baisse parce que les
professeurs d'aujourd'hui ne savent pas s'adapter aux élèves actuels.
En réalité, ce que personne ou presque ne souligne, c'est que l'indiscipline et la violence à l'école
ont augmenté avec la baisse du pouvoir de sanction à l'école. Mais comme il apparaît trop difficile de demander
à ceux qui en sont responsables d'en déduire que la sanction avait sa petite utilité,
on en reste toujours depuis deux décennies à
continuer
d'écarter dès le départ la sanction véritable (contraignante et désagréable) de toute solution globale.
C'est pourquoi Etat de droit le redit avec force : SANS un rééquilibrage notable de la sanction à l'école
(vers un plus grand pouvoir de sanction accordé aux personnels scolaires vis-à-vis des élèves), les problèmes
d'indiscipline et de violence dans nombre d'écoles ou d'établissements scolaires ne se résoudront PAS ; et sans
une discipline accrue, nombre d'élèves continueront de ne pas se sentir bien à l'école. Ce n'est
pas en sanctionnant les enfants qu'on les rend malheureux : c'est en les sanctionnant TROP ou PAS ASSEZ.
Tant que nous resterons bloqués dans cette alternative du tout ou rien, la violence juvénile grave — ce grand malheur
collectif — continuera de s'aggraver encore, à l'école comme en dehors, avec ses conséquences
à plus long terme : une augmentation continue des crimes et délits dans notre société toute entière.
2006-2009 © Etat de droit / Jean-Yves Willmann