Etat de droit
L'étude de novembre 2008 / mars 2009
Les « arguments » les plus utilisés pour défendre l'idéologie anti-sanction à l'école
(Officiellement à disposition des professeurs.) Inutile donc d'en rajouter. Cet argument-là, quoique assez
minoritaire, existe néanmoins dans la bouche de certains professeurs. Il a le mérite d'être surprenant : il
se trouve donc encore en France, en 2008, des professeurs des écoles ou professeurs de collèges et lycées
qui estiment détenir un pouvoir de sanction suffisant vis-à-vis de leurs élèves. Précisons qu'ils
évoquent surtout, en l'occurrence, un pouvoir de fait — qui se rapproche du
pouvoir personnel ou
pouvoir accordé par délégation personnelle à l'égard
desquels Etat de droit a souvent exprimé ses plus vives réserves — beaucoup plus qu'un
pouvoir institutionnel,
davantage impartial et seul à même de garantir un minimum de
pouvoir et autorité à CHAQUE professeur, où qu'il (elle) exerce.
Certains professeurs vont même jusqu'à dire qu'ils ont un trop gros pouvoir de sanction vis-à-vis de leurs élèves,
encore que ces professeurs-là, généralement, exercent en plein centre ville dans LE collège ou lycée réputé du coin
et n'ont quasiment aucun élève très difficile... En somme, ces professeurs-là parlent pour leur pomme, qu'on nous
passe l'expression. Ils ne se mettent pas à la place des professeurs qui exercent au milieu des cités, en bordure
des périphériques, à proximité des décharges...
Pour être complet, on trouvera sans doute aussi quelques professeurs ayant déjà eu des élèves assez difficiles
et qui estiment néanmoins qu'un surcroît de pouvoir de sanction ne leur serait pas utile. Pourquoi ? Ici
Etat de droit sèche un peu... Cette étude n'a pas la prétention de sonder les arcanes de
la psychologie de tous les professeurs de France... Mais toujours est-il que les professeurs connaissant
de grandes difficultés pour conserver un semblant d'autorité en classe apparaissent de
plus en plus nombreux et que les professeurs qui se suicident directement à la suite d'incidents
en classe semblent de moins en moins exceptionnels.
Mais pour clore ce chapitre, reposons-nous sur une base objective : les
Bulletins Officiels de l'Education Nationale
commis depuis les années 1980 en matière d'autorité à l'école et de soi-disant « lutte contre la violence scolaire
». Est-ce trop de pouvoir donné à un proviseur que de lui permettre au plus
d'inviter un élève
à montrer le contenu de son sac lorsque cet élève est fortement soupçonné d'y détenir un objet ou une
substance illicite ? Est-ce donner trop de pouvoir à une directrice d'école élémentaire que de
lui
interdire de renvoyer très provisoirement un élève ultra-perturbateur ne serait-ce qu'un seul jour ? Est-ce donner
trop de pouvoir à un instituteur ou professeur des écoles que de ne l'autoriser, en tout et pour tout,
qu'à « mettre au coin » un élève pendant 5 minutes ou le priver d'une
partie de récréation ? Sachant l'attitude en classe et à l'école de certains élèves d'aujourd'hui — qui
s'explique très largement par l'impuissance institutionnelle relevée — Etat de droit reconnaît
à son tour une certaine impuissance à expliquer comment certains professeurs (ou non-professeurs) peuvent encore
considérer que le pouvoir de sanction du professeur d'aujourd'hui est suffisant... D'autant qu'il n'existe
officiellement pas à l'école primaire !
Petite déclinaison possible de cet argument : les professeurs ayant des problèmes d'autorité avec leurs
élèves n'utiliseraient tout simplement PAS ASSEZ les possibilités de sanction ou punition déjà à leur disposition.
Si donc vous protestez de votre impuissance institutionnelle, il s'en trouvera toujours quelques-uns pour vous
signifier que vous avez oublié telle ou telle possibilité (de punir un élève) officiellement
autorisée par les textes. Et qu'en somme, vous ne devriez vous en prendre qu'à vous-même.
Problème : il est de ces circonstances, de ces accumulations de problèmes, qui rendent impossibles ou totalement
inopérantes les quelques rares possibilités de punition ou d'action « officiellement autorisées ».
Exemple :
— un professeur des écoles ou de collège a des élèves très difficiles et des parents d'élèves
assez peu coopératifs ;
— par ailleurs, pour x raisons (ne serait-ce qu'à cause du turn-over élevé dans certaines écoles
ou établissements scolaires difficiles), admettons que la solidarité de l'équipe enseignante ne soit pas
toujours au rendez-vous ;
— en outre, le
directeur d'école (si c'est une école primaire), notamment du fait de son faible temps de décharge en province, rechigne
un peu à jouer le rôle du « père fouettard » en vous disant qu'en cas de gros problème vous pouvez certes
théoriquement — s'il est là et s'il n'a pas sa classe à ce moment-là — lui envoyer un élève dans son bureau,
mais que cela doit rester exceptionnel ;
— considérons que le professeur en question a une
autorité naturelle tout à fait normale
mais non exceptionnelle ;
— imaginons de surcroît que ce professeur aient plusieurs classes parce qu'il (elle) est professeur en collège
OU parce qu'en tant que professeur des écoles on lui a attribué plusieurs postes à la fois dont il ou elle n'est pas
titulaire (ou encore parce que c'est un ou une professeur remplaçante) ;
— prenons aussi le cas de figure le plus courant au niveau de l'inspection académique pour les
écoles primaires : une inspection académique dont le premier réflexe ne sera pas de soutenir ardemment son
personnel enseignant en cas de conflit avec des parents d'élèves ;
— ajoutons pour finir que notre professeur souhaite s'en tenir aux règlements (et non pas aller au-delà).
Ainsi, dans ce type de situation globale, nos professeurs d'aujourd'hui ont-ils un assez grand
pouvoir de sanction vis-à-vis de leurs élèves ? Il est assez facile de comprendre que non. Que pourra faire
ici un professeur des écoles pour sanctionner des actes graves ? S'il se refuse à outrepasser les règlements :
rien ! Ce n'est
pas une petite mise au coin qui peut régler des problèmes graves et/ou répétés... Ni une multiplication des réunions entre
enseignants. Ni un « signalement » d'élève. Ni une multitude de discussions avec tel élève particulièrement
insolent et agressif. Ni une demande d'entretien avec des parents qui — s'ils viennent — donneront toujours
raison à leur enfant ou ne pourront/ne voudront infléchir son comportement. Toutes ces petites
rustines ont déjà, depuis longtemps, fait la preuve de leur totale inefficacité à long terme.
On nous dira peut-être encore : ah ! mais vous avez pris le cas extrême, la situation où tout va de travers ! Qui ne peut être
que rarissime... Hélas non. Ce type de circonstances, où toutes les mauvaises conditions sont réunies, est de moins en moins
exceptionnel : les professeurs hors du commun ne sont pas légions, les élèves difficiles sont eux de plus en plus souvent
rencontrés, la solidarité ne peut pas toujours s'exprimer 6 heures sur 6, les inspections académiques qui soutiennent
activement le personnel des écoles les plus dures restent très minoritaires... Si aucun texte ne change, elles seront donc
de plus en plus nombreuses à l'avenir, ces écoles et classes où tout un ensemble de mauvaises conditions réunies aboutissent
à l'échec total de
notre Education nationale. Quant au déni permanent, il n'a jamais rien réglé.
2006-2009 © Etat de droit / Jean-Yves Willmann