Etat de droit
[21 février 2007]
Proposition E19 Proposition complète
Pourquoi
Pourquoi
?
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Si nous avons brisé bien des distances, pourtant nécessaires à la préservation de toute autorité institutionnelle, il nous arrive aussi de pratiquer l'excès inverse !
1 — Depuis 1989, nous avons en l'occurrence créé une distance fort singulière : celle consistant à exiger
que l'on soit BAC+5 pour pouvoir
enseigner à des enfants âgés de 2 ans et demi à 6 ans ! Croît-on vraiment qu'il soit
nécessaire d'atteindre un tel niveau de connaissances pour arriver à pratiquer des activités avec de si jeunes
élèves ? Ces activités demandent une réflexion soutenue de la part des enseignants d'école maternelle, mais en
quoi 3 années d'étude théorique à l'université leur seraient-elles plus utiles que 2 années de formation
concrète en institut et sur le terrain ?
A vrai dire, ces longues années d'étude ne sont peut-être pas seulement inutiles, elles pourraient même être
nuisibles : quand il y a trop de distance, il est plus difficile de se mettre au niveau de son public.
2 — A titre de comparaison, aucun diplôme d'Etat n'est véritablement exigé pour
travailler dans les crèches (même si ces dernières doivent heureusement respecter un certain quota de personnels
qualifiés). Les assistantes maternelles, quant à elles, n'ont besoin d'aucune qualification pour obtenir l'agrément...
Or, quelles que soient les différences observées entre la garde des très jeunes enfants et la scolarisation en
école maternelle, elles apparaissent bien moindres que la différence du niveau d'étude et de formation exigé
entre les deux types de professions. (Alors même que les personnels de crèche se doivent d'être totalement
polyvalents : activités, repas, changes, etc.)
Bien entendu, les enseignants des écoles maternelles répètent à l'envi que leur école n'est PAS une garderie.
Gare à qui le laisserait entendre ! Et c'est en grande partie vrai. Mais prenons deux situations assez proches :
une Petite Section d'école maternelle, d'une part ; une section d'enfants de 1 an et demi à 3 ans en crèche,
d'autre part. En début d'après-midi, la plupart des enfants de Petite Section dorment. Comme en crèche...
Par ailleurs, les crèches développent souvent un certain nombre d'activités et nos tout jeunes enfants y
apprennent donc des choses. Comme à l'école... Certes, pas autant qu'à l'école, mais tout de même. (Quoique !
Quand on voit le niveau de certains CM1 ou CM2, on pourrait se poser la question.) Or, dans notre première
situation on vous demande désormais d'être au moins BAC+5, tandis que
dans la deuxième vous pouvez vous contenter d'être BAC—5
(ou BAC—3) avec pourtant d'importantes responsabilités.
Tout cela semble bien disproportionné...
3 — Autre comparaison : avant la réforme de 1989, de «simples»
bacheliers pouvaient entrer à l'Ecole Normale et devenir de très bons maîtres d'école. (Encore que les
bacheliers d'hier avaient un autre niveau que ceux d'aujourd'hui, cette baisse du niveau général venant
encore d'être confirmée en février 2007 par une étude objective portant sur une même dictée donnée à
plusieurs années d'intervalle.) Ainsi, quand on demandait auparavant le baccalauréat pour se former à
l'enseignement en école élémentaire, on demande maintenant le niveau licence suivi de deux années de
formation pour se retrouver devant des bambins de 3-4 ans !
C'est le grand écart...
Poussons d'ailleurs la comparaison jusqu'au bout : s'il suffit d'être BAC—3 pour s'occuper d'enfants de 2 ans mais BAC+5
pour «enseigner» à des enfants de 3 ans, on notera qu'il suffit toujours d'être
BAC+5 pour enseigner à des Terminales... (Et encore : certains professeurs
de lycée ne sont pas BAC+5.) Un Martien en déduirait qu'il doit y avoir
beaucoup plus de différences entre un enfant de 2 ans et un autre de 3 ans qu'entre un enfant de 3 ans et
un quasi-adulte de 18 ou 20 ans !
4 — Or, à les écouter, les Professeurs des Ecoles qui projetèrent dès leur formation, voire avant, de n'enseigner qu'en école maternelle semblent nombreux. Et dans la réalité, une fois titulaires, la plupart des enseignants du premier degré font toute leur carrière dans le même type d'école. Ce nouveau statut, de Professeur d'Ecoles Maternelles, devrait donc entraîner un bon nombre de candidatures, sans rien imposer à personne : si l'on n'est pas sûr de vouloir enseigner exclusivement en école maternelle, et a fortiori si l'on souhaite plutôt exercer en école élémentaire, le statut de Professeur des Ecoles resterait accessible au niveau licence avec concours.
5 — En conséquence, puisqu'il apparaît fort possible de devenir (au moins) aussi compétent en école maternelle avec un BAC plus deux années de formation pratique qu'avec un BAC+5, ce nouveau statut représenterait l'économie d'au moins 3 années d'université (car on n'obtient pas toujours sa licence en 3 ans…) multipliées par des dizaines de milliers de personnes, soit une économie budgétaire très conséquente pour un résultat identique, sinon meilleur. Notre déficit national vertigineux ne pourrait que s'en mieux porter.
6 — Ajoutons du reste que cela ouvrirait une nouvelle perspective professionnelle pour toutes celles et ceux qui, désireux de travailler avec de jeunes enfants, n'auraient pas vraiment le goût ou ne disposeraient pas de soutien financier suffisant pour les longues études universitaires. De ce point de vue, cette nouvelle voie d'accès augmenterait les chances d'ascension sociale pour les classes les moins favorisées de notre pays.
7 — Pour ce qui concerne enfin les questions de salaires et de retraites liées à ce nouveau statut
[voir l'énoncé complet], le compromis trouvé devrait satisfaire tout le monde :
— ces nouveaux Professeurs d'Ecoles Maternelles (qui bénéficieraient d'un salaire au moins trois ans avant les
Professeurs des Ecoles, d'un départ à la retraite au moins un an avant eux, et d'une grille indiciaire presque
équivalente malgré un niveau d'étude initial moins élevé) ;
— les responsables soucieux de l'état de nos finances publiques (puisque ces nouveaux professeurs, non
seulement coûteraient trois années d'études universitaires en moins, mais devraient accomplir aussi deux
années de travail en plus sur l'ensemble de leur carrière) ;
— les actuels ou futurs Professeurs des Ecoles (qui ne se sentiraient pas lésés du fait d'avoir une période
totale de travail inférieure de deux ans par rapport aux nouveaux Professeurs d'Ecoles Maternelles, surtout s'ils
préfèrent l'enseignement en école élémentaire) ;
— enfin, les parents d'élèves n'auraient aucune raison de craindre une baisse de compétence de ces nouveaux
Professeurs d'Ecoles Maternelles du fait que leurs connaissances disciplinaires resteraient tout à fait suffisantes
par rapport à leur très jeune public et qu'ils seraient de surcroît obligés de rester au moins deux ans dans un
institut de formation (contrairement aux Professeurs des Ecoles qui passent leur concours en candidats libres).
En somme, tout le monde y trouverait son compte.
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