Etat de droit
[30 juillet 2006]
Proposition E9
Pourquoi
Pourquoi
?
?
Les actuels critères d'admission dans une
classe relais ne laissent planer aucun doute sur l'état d'esprit — une idéologie anti-
sanction très ancrée — de ceux qui ont initié ce type de formule : toute admission qui se
présenterait comme le résultat d'une sanction de type disciplinaire s'imposant à un élève contre son gré compromettrait
la réussite du projet (circulaire n° 98-120 du 12 juin 1998). L'admission ne peut donc
être décidée que sous réserve de l'accord de l'élève et du consentement de la famille...
Et selon les pesanteurs administratives habituelles : l'inspecteur d'académie s'appuie sur une
instruction circonstanciée de la situation de l'élève, réalisée par une commission qu'il constitue en liaison avec
le groupe départemental de pilotage... Etc. On retiendra que les personnels scolaires — des professeurs à
l'inspecteur, en passant par les chefs d'établissement concernés, les éducateurs, plus quelques personnels sociaux et
de santé — doivent mobiliser une grande énergie mais qu'à tout moment, voire après des semaines de concertations,
l'Élève Souverain peut parfaitement refuser leurs conclusions.
Or, la circulaire en question est on ne peut plus claire sur la nature des problèmes que ces classes relais
sont censées traiter : manquements graves et répétés au règlement intérieur, forte agressivité vis-à-vis des autres élèves ou des adultes, absentéisme
chronique, extrême passivité...
En somme, un Élève très agressif qui
ne respecte rien ne doit SURTOUT PAS ressentir la plus minuscule contrariété... Tout sauf une punition ! Notre mission
sacrée consiste à ne jamais indisposer Celui qui indispose tout le monde. Les habitudes sont maintenant bien rodées :
on se confond en obligeance devant Lui, lui récitant la psychologie de supermarché dont on a été gavé, le suppliant de
consentir à des conditions privilégiées, à un soutien entièrement personnalisé... Sans jamais manquer d'étudier toute
possibilité de le bichonner encore davantage.
Fâcheuse comparaison : parce que certains se comportent particulièrement mal, ils acquièrent le Droit d'avoir bon
nombre d'adultes à leur disposition, en petit comité ; tandis que ceux qui font l'effort de mieux se comporter se
retrouvent à plus de trente pour un seul professeur... Principe des vases communicants ! A partir du moment où l'on ne
peut pas augmenter indéfiniment le nombre des fonctionnaires, si vous en affectez plus à un endroit, vous en retirez à
un autre. C'est ainsi qu'après avoir malmené ceux qui veulent s'en sortir, l'Élève perturbateur va en plus, en
quelque sorte, leur voler leurs professeurs ! (Et l'argent du contribuable en passant.) Du moins l'a-t-on décidé en
hauts lieux.
La fable est immorale. A la recherche de ceux qui braillent (ou baillent) le plus, on ressort systématiquement
les prétextes éculés d'une inévitable situation
sociale catastrophique ou de difficultés psychologiques extrêmes. Comme si c'était toujours vrai ! Comme
si l'impolitesse était la preuve certaine d'un traumatisme insurmontable ! Comme si les autres n'existaient pas...
D'ailleurs, quand bien même il y aurait une once de vérité dans les excuses trouvées, elles n'en demeurent pas moins
dangereuses : croit-on vraiment aider un adolescent qui aurait connu des difficultés en lui accordant, via le statut
de Victime, le droit de commettre ce qui est interdit aux autres ? En fait, on le laisse s'enfoncer dans une vision
du monde sans limite, et en bout de course, une fois bien des dégâts causés, la lourde sanction finit par tomber
comme un couperet, le laissant sans voix, avec le sentiment d'injustice que génère l'incompréhension.
Revenons justement dans le monde réel et
sur ce que peuvent avoir enduré les bénéficiaires de ces fameuses classes relais. On parle donc souvent de difficultés
relationnelles et familiales ; mais s'agit-il de disputes, d'un certain manque d'affection, d'une absence de fermeté...
OU de (réelle) maltraitance, malveillance parentale, alcoolisme ?… Il y a trop d'amalgames. En visionnant un film documentaire d'Allan Wisniewski sur les classes relais (une production de l'Education nationale
visant à en donner une image favorable ; mars 2003), on voit surtout des parents vanter les qualités de leur enfant.
Les jeunes bénéficiaires du dispositif, eux, maudissent le collège, ont la haine du corps
professoral, une sainte horreur de la besogne, mais on ne les entend guère dire du mal de leurs parents : plusieurs
prennent même facilement la défense de leur mère. Alors, à une ou deux exceptions près, elles
sont où, ces abominables conditions d'existence qui excuseraient tout ? Que certains aient une maman dépassée
par les événements (parfois seule) et qu'ils ressentent un manque de communication ou d'autorité, c'est probable.
Que d'autres souffrent réellement, c'est visible ; et pour eux la classe relais peut s'avérer utile. Mais est-on
sûr que tous ont mérité d'y être ?… Dans le documentaire mentionné,
l'un s'y sent en vacances, un autre prévient
qu'il s'en ira à la première insatisfaction, une autre critique tout le monde, tel autre ne fait aucun effort...
Et pourtant, qu'ils sont patients et prévenants, les nombreux adultes présents ! Jusqu'aux croissants et pains au
chocolat apportés sur un plateau ! Mais cela ne suffit toujours pas : après quatorze semaines de ce traitement,
quelques adolescents trouvent encore à redire ou matière à s'offusquer. Ceux-là, croit-on
réellement les aider en perpétuant cette absence d'exigence dans laquelle ils baignent depuis tout petits ?
Se rend-on compte surtout du message véhiculé à tous ceux qui peuvent subir des situations personnelles autrement
difficiles mais restent dans un collège surchargé pour cause de bonne conduite ?
Alors on ne cesse de nous répéter (toutes tendances politiques confondues) que cela va marcher, que les classes relais
auraient fait la preuve de leur efficacité, ce dont quelques journaux semblent se féliciter
et bien sûr les enseignants qui s'y retrouvent : «Avec six à huit élèves par groupe, on tourne en gros avec un professeur pour un élève, avec un luxe de
matériel informatique, des méthodes, des objectifs et des emplois du temps ajustés à chaque cas. C'est du cousu
main, de la haute couture pédagogique !» (Le Parisien, 9 septembre 2000.) Fort bien. Mais quels élèves méritants pourraient en dire autant, pourraient jouir d'un tel luxe, profiter
quotidiennement de serviteurs sur mesure, aux petits soins, qui leur mâchent tout ?… Hélas, cela n'est pas
à leur portée. Il faut avoir «fait ses preuves» pour mériter tout ça ! En clair :
avoir houspillé bon nombre d'élèves, menacé au moins quelques surveillants, insulté un minimum de professeurs...
C'est
ici qu'il nous faut distinguer deux choses, quant à l'impact de ce dispositif plus que jamais agréé (par le ministère de
l'Education nationale) : les possibles bienfaits individuels à court terme ET le contrecoup collectif à long terme.
Sur les bienfaits, notons qu'ils sont loin d'être évidents : quelques bilans charitables sont certes dressés par le
ministère ; des propos bienveillants proviennent de ceux qui s'y investissent
et y croient depuis le début ou de ceux qui ont pu en bénéficier largement ; mais si on lit entre les lignes et
pas seulement par le petit bout de la lorgnette, une certaine prudence devrait s'imposer. Pourquoi ? Parce que la
création des classes ou ateliers relais, et autres structures récentes, repose sur un postulat
très réducteur : tout comportement antisocial ne pourrait avoir pour cause qu'un mal-être qu'il faut donc
«soigner» en priorité. Et à grand renfort de sollicitudes. Or,
plus les problèmes s'aggravent — à l'échelle occidentale — plus on en rajoute une couche, si
l'on peut dire...
Dans l'esprit de ceux qui proclament cette théorie urbi et orbi (et hors de toute hésitation),
la sanction ne peut rien arranger. Ils l'ont évacuée par axiome. Et cherchent donc ailleurs.
De Gaulle disait : des chercheurs qui cherchent, on en trouve ; mais des chercheurs qui trouvent,
on en cherche ! En matière d'autorité scolaire, deux décennies d'expérimentations hasardeuses ne semblent
pas avoir suffi.
Imaginons pourtant ce que peuvent ressentir des élèves en train d'observer les actuelles réponses
apportées aux comportements très querelleurs, blessants, voire carrément dangereux. Ils
savent tous (auteurs, témoins et victimes), dans l'ordre : qu'aucune sanction dissuasive
n'existe vraiment ; qu'une présomption de mal-être immunise pour longtemps ; qu'au pire, en cas de manquements graves et répétés ou de forte agressivité, on soumettra au
bon vouloir du chérubin la proposition de lui fournir un matériel haut de gamme, des personnels entièrement dévoués
à sa cause, un programme conçu pour satisfaire toutes ses petites envies... Même celles qu'il n'a pas exprimées !
Alors voyons... Que pourrait-on bien éprouver lorsqu'on s'échine à étudier avec les insultes en bruit de fond,
les intimidations en perspective, et que l'on voit tous ces petits caïds (qui vous ont rendu vos journées
si difficiles) se faire pouponner à longueur d'années en accaparant les effectifs ?
Mettons-nous une minute à la place de l'élève moyen, rendu fragile, qui partait pourtant bien intentionné : devant un
tel spectacle, pourquoi donc faire des efforts ? Pourquoi respecter les règles ? Pourquoi chercher à se contrôler ?
A quoi bon ?
Le jour viendra — s'il n'est pas
déjà arrivé — où certains n'hésiteront plus à vociférer : mettez-moi dans une classe relais,
sinon j'explose ! Quoi de plus normal ? Avec la «massification» de ce
dispositif (annoncée dès novembre 2004), ils comprendront aisément qu'il faut se comporter encore plus mal que
d'habitude pour y avoir accès. Une phrase revient d'ailleurs fréquemment chez les adultes en contact avec ce
type de public, représentative de la situation dans laquelle nous nous sommes empêtrés : on
ne peut plus rien leur dire. Eh non ! A force de les surprotéger, les textes nous les
rendent raides comme des couperets, engourdis mais susceptibles. Comment s'en étonner encore ?… Le
fatalisme et les prétextes les plus divers continuent d'éluder une réalité pourtant visible : on les habitue à
être souvent servis mais pas contents, à exiger beaucoup d'autrui mais peu d'eux-mêmes. En 1961, J. F. Kennedy
proclama : ne demandez pas à votre pays ce qu'il peut faire pour vous mais plutôt ce que
vous pouvez faire pour votre pays. La France actuelle dit exactement l'inverse.
Le tableau serait-il exagéré ? Reprenons le scénario depuis le début. Plus un Élève force le trait (du
caractériel), plus nous tenons à le voir en Victime ; il n'est qu'à voir les surnoms dont on affuble ceux qui
entrent en classe relais : les laissés-pour-compte (dans le film cité), les naufragés (journal Le Parisien), les «gueules
cassées de l'école» (journal Le Monde). Mine
de rien, nous sommes là en train de comparer ceux qui insultent leurs aînés, tranquillement
assis sur une chaise, — ou maltraitent leurs cadets sans scrupule — à des anciens combattants
défigurés de la première guerre mondiale... Et ce, alors que nous allons jusqu'à leur donner un
professeur particulier, des croissants chauds sur un plateau d'argent, des quasi-vacances, du matériel
de luxe, des emplois du temps sur mesure ! Tout cela aux frais du contribuable. [Cette petite liste de
privilèges ne fait que reprendre les quelques exemples
ci-dessus.] Et dire que ce sont parfois les mêmes qui ricanent sur Auschwitz ou conteste sa réalité
d'un air condescendant...
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J-Y Willmann © Etat de droit depuis 2006