Etat de droit
[9 juin 2006]
Proposition E10 Proposition complète
Pourquoi
Pourquoi
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1 — Commençons par rectifier une fausse idée : légalement, ce n'est pas l'école
qui est obligatoire mais l'instruction. Tous les grands textes vont dans le
même sens : l'instruction primaire est obligatoire (loi du
28 mars 1882) ; l'instruction est obligatoire (ordonnance
du 6 janvier 1959) ; l'instruction obligatoire (loi du 18
décembre 1998). Depuis le XIXe siècle, nous avons juste raccourci la formule — comme pour mieux
l'affirmer — et notre Code de l'éducation, bien évidemment, la reprend :
l'instruction est obligatoire (art. L. 131-1),
l'instruction obligatoire (art. L. 131-2), etc. Du
reste, il n'y a d'« éducation » quasiment que dans les intitulés, les en-têtes ou les petits discours ! Et
quand enfin l'on redécouvre — dans le Code civil — l'existence d'un devoir d'éducation, il n'est pas à l'adresse des professeurs... Comment veut-on y comprendre quelque
chose ?!
Si le principe de l'école obligatoire s'est imposé dans les esprits, il n'est donc pas juridiquement
inscrit noir sur blanc. Est-ce jouer sur les mots que de le rappeler ? En y faisant référence, on associe
«école» à «obligation». Or, pour
un peu, on penserait presque à une obligation DE l'école, ou de la seule obligation
d'y être présent, peu importe ce qu'on y fait...
Alors que la VRAIE obligation consiste à s'instruire !
Et que cette responsabilité initiale — d'instruire ou de faire instruire l'enfant — incombe
aux parents ! Le glissement est pernicieux : cette substitution des termes, inconsciemment, crée un
détournement de responsabilité qui dénature le rôle de l'école. Alors qu'en reprenant les vrais
termes, d'«instruction
obligatoire», on remettrait un peu les choses à leur place.
Psychologiquement, ce serait déjà beaucoup.
Voyons à présent pourquoi il serait indispensable d'introduire dorénavant la notion d'exception au principe (de
l'école obligatoire), ce principe qui s'est insidieusement incrusté...
2 — Tout bon principe se doit de ne pas être trop rigide ; la souplesse lui assure sa pérennité.
Vous connaissez l'histoire du Chêne et du Roseau ? Voici celle du principe et de l'exception :
Au pire, quand il a vraiment réussi moult coups d'éclat en termes d'incivilités ou de violences, que risque un élève ? Au niveau de l'institution scolaire, hasardons-nous jusqu'à la
Punition Suprême : l'exclusion définitive. Etant donné notre propension à jongler avec les mots,
« exclusion » signifie surtout : changement d'établissement. Les textes sont formels. [Voici deux
exemples.] Et dans les faits, le changement de lieu se solde souvent par un échange,
l'établissement à qui l'on attribue un « exclu » éprouvant
tantôt le besoin d'en rétrocéder un autre aux généreux donateurs d'à-côté ! A moins que l'Élève en question
n'ait la bonne idée d'aller se plaindre auprès d'un tribunal administratif «
bienveillant » qui le réintègrera «
d'autorité » dans son établissement d'origine, histoire de
ridiculiser encore plus les personnels scolaires... [Plus de détails.]
Ces différents retours à l'envoyeur, prévisibles, témoignent de l'inefficacité des moyens d'ACTION
actuellement autorisés en milieu scolaire. Quelques années auront suffi pour casser le jouet... Nous
avons troqué un système sans doute imparfait, mais qui offrait quelques chances à tous, contre un
spectacle affligeant où professeurs et autres personnels scolaires peuvent passer un temps infini à
se concerter, à constituer des dossiers, envoyer des courriers, puis préparer des conseils, palabrer
avec leur hiérarchie, voire se mettre à dos l'établissement voisin... pour se retrouver au bout du
compte en face du même Élève « difficile
» ou d'un Élève équivalent !
Ainsi, quelles que soient son attitude, ses provocations, les libertés fondamentales d'autrui qu'il peut
royalement piétiner, un Élève sait qu'il ne sera jamais vraiment renvoyé de l'institution scolaire publique.
Pire : on ne lui demande pas de fournir des efforts mais d'accepter l'empathie puis la consolation !
[Exemple du Guide officiel.] Notre conception de «
l'ouverture » est pour le moins étrange : nous faisons mine d'ouvrir grand les bras
pour mieux fermer les yeux. Il en résulte que
dans maints endroits la dissuasion n'existe plus qu'à contresens : à
l'encontre des adultes professionnels (empêchés d'agir avec fermeté), des élèves harcelés
(condamnés à se taire) et finalement de tous ceux qui voudraient travailler.
Alors, afin que l'école soit moins vécue comme un calvaire que comme une chance, une solution
toute simple vient à l'esprit : la possibilité — même très petite — de la PERDRE.
Pour pouvoir continuer à en bénéficier, il y aurait désormais une condition à remplir. Que
demanderait-on ?… Oh, pas la lune ! Pas grand-chose en fait. Simplement de ne pas hurler en
classe, ni tourmenter untel en raison de ses origines ethniques, ou assujettir celle-ci parce
qu'elle a le malheur d'être polie... Bref, ce genre d'exigence minimale, minimaliste, dont
on pourrait considérer qu'elle est à la portée de (presque) tout le monde.
Qu'un élève ait du mal à comprendre, à retenir et assimiler, se concentrer ou s'intéresser...
tout cela est parfaitement admissible. Du moment qu'il respecte ses semblables, les professeurs
se doivent de redoubler d'explications et d'encouragements autant qu'il est possible. Qu'en
revanche quelqu'un se croie tout permis au préjudice d'autrui, parsemant son passage de nouvelles
ou anciennes victimes en braillant qu'Il Est Le Martyr (tactique ô combien répandue), et alors-là,
oui : au bout du compte, lorsque l'ardoise est devenue trop salée et que les craies sont toutes
cassées, l'école de la République ne le retiendrait plus.
Le but de la démarche est simple à comprendre : mettre fin à ce droit extravagant,
véritable anti-droit, qui permet aujourd'hui à UN élève ou quelques-uns
d'empêcher TOUS les autres d'évoluer sereinement au sein d'une classe. Notre logique de lutte
contre l'exclusion est admirable dans son intention, majestueuse dans ses discours, mais en la poussant
à l'extrême, avec des œillères, elle s'avère hautement contreproductive, nous conduisant à préférer
qu'un seul élève puisse en exclure trente du savoir plutôt que l'inverse. Il s'agit donc bien ici de
proposer non pas d'accroître l'exclusion, mais bien au contraire, de la faire
globalement diminuer.
3 — Dernière chose mais non des moindres : l'aspect sémantique. Pour évoquer le fait qu'un élève
ne puisse pas revenir dans son établissement d'origine, on peut entendre dire qu'il a été « exclu », « expulsé », « renvoyé »...
Officiellement, on parle d'exclusion. Or, le terme n'est pas anodin : si l'on en
croit les dictionnaires, à l'expression « se faire exclure » sont rattachées les idées d'être chassé, privé de droits, rejeté...
Bref, le propre d'une victime !
Expulser reprend cette idée, avec des relents de brutalité en plus. (On se rapproche
du verbe éjecter...) Ici, notre Victime se serait même fait maltraiter ! Quand on connaît l'ambiance actuelle,
qui consiste parfois à faire passer certains fautifs pour des martyrs (ou les vessies pour des lanternes),
mieux vaut ne pas laisser passer ce genre d'apparent détail.
Enfin, avec renvoyer, on a davantage le choix dans la définition : faire retourner
d'où l'on vient (connotation neutre) ; chasser (cf. ci-dessus) ; mettre en accusation (renvoi devant un
tribunal) ; réfléchir (une image)... Si l'idée de victime subsiste en filigrane, la
notion de faute ressort également et l'idée du miroir (qui nous renvoie notre propre image) n'est
pas sans rappeler celle de la responsabilité : se voir soi-même, tel qu'on est.
Tout bien soupesé, le mot renvoi paraît donc le mieux approprié — de loin
— pour désigner la décision de ne plus accepter un élève du fait de son comportement...
inacceptable.
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